La guerre en Ukraine s'enlise dans une situation insupportable.
L'agression de la Russie a entraîné des dizaines de milliers de
morts et de blessés, des destructions considérables, l'exode de
millions d’ukrainiens-nes. Cette situation désastreuse fait
parfois oublier aux médias et aux responsables politiques les
situations tout aussi catastrophiques en Afrique, au Soudan
notamment, ou au Moyen-Orient, dans la péninsule yéménite.
Il faut être clair : toutes les postures politiques, des deux
côtés, qui prétendent que la solution est de "gagner la
guerre", sont non seulement fausses de l'avis de la majorité
des experts militaires, mais ne peuvent que mener à un enlisement du
conflit, la déstabilisation profonde et durable de toute une région
du monde. "La diplomatie, la discussion, l'échange restent
les seuls moyens de trouver une solution acceptable", comme
l'a déclaré un ancien Président de la République françaisei.
La nécessité d'une solution politique diplomatique négociée
commence à émerger, timidement encore dans le débat politique
françaisii,
de manière plus diversifiée au niveau international. La Chine et
l'Afrique du Sud ont proposé un plan de paix pour l'Ukraine au
sommet des Bricsiii.
Quarante pays dont les États-Unis, la Chine et l'Inde étaient
réunis à Djeddah pour des échanges organisés par l'Arabie
Saoudite pour trouver une solution pacifique à la guerre Russie -
Ukraine. Les discussions ont abouti à un accord sur la poursuite de
ces pourparlers pour atteindre la paixiv.
Le président turc Erdogan mène une négociation pour obtenir le
redémarrage sur l'exportation des céréales de l'Ukraine et des
produits agricoles russes sur la Mer noirev.
L'absence de la France dans ces efforts de paix est navrante :
Emmanuel Macron se cramponne à l'idée stérile de « gagner
la guerre contre la Russie » et à la défense de son
entrée rapide dans l'OTANvi,
alors que États-Unis et Allemagne restent beaucoup plus prudents et
que des cadres de l'OTAN proposent même des négociations
territoriales avec la Russie pour arrêter le conflit !vii
En ce début du mois de septembre s'ouvre à New-York la nouvelle
session de l'Assemblée générale des Nations Unies. Il est
nécessaire que cette période de rencontres diplomatiques intenses
permette de trouver de nouvelles initiatives de paix. Il y a besoin
de "changer de braquet", de faire preuve d'audace
diplomatique ! Le pape François a eu raison de déplorer "le
manque de courageux itinéraires de paix en Europe"viii.
Il est nécessaire de bâtir une solution politique et
diplomatique qui préserve les droits du peuple et de l'État
ukrainien, qui permette d'arrêter les combats, de trouver des
modalités de cessez-le-feu provisoires permettant le retrait des
troupes russes et l'élaboration d'un cadre de sécurité commune.
Dans les débats actuel, vient l'idée de trouver un statut
particulier pour l'Ukraine, un statut qui écarte son entrée dans
l'Union européenne et l'OTAN et lui donne un statut de "neutralité"
ou de "non-alignement" avec des garanties de
sécurité. Ces idées sont positives car elles visent à tenir
compte des rivalités de puissances actuelles entre les États-Uns et
la Russie, mais elles méritent un débat approfondi.
Les notions de neutralité et de non-alignement sont nées au
temps de la Guerre froide et de l'existence des deux blocs : le bloc
américano-occidental et le bloc communiste ou soviétique. L'Autrice
et la Finlande ont joué avec ce statut un rôle diplomatique
d'intermédiaire actif. Les pays du tiers-monde puis les pays
décolonisés ont joué et jouent encore un rôle de contre-poids
avec la création du groupe des pays non-alignés en 1956, groupe
reconnu à l'Assemblée générale de l'ONU. Faut-il revitaliser ces
notions et par là-même redonner vie à la séparation du monde en
blocs concurrents et rivaux ?
Depuis deux ans, on a vu de fait se reconstituer un bloc
occidental. Parallèlement le groupe des Bricsix
s'est renforcé avec l'arrivée de nouveaux pays. On parle également
de plus en plus à l'échelle planétaire de "Sud global"
comme d'un bloc encore informel, mais dont on a vu une manifestation
lors des abstentions nombreuses de pays à l'Assemblée générale
des Nations unies contre les sanctions contre la Russie.
Ces évolutions mettent en cause les domination des grandes
puissances et des grands groupes économiques qui leur sont liés,
c’est évidemment très positif, mais est-ce la voie d'avenir pour
la planète ? Ne risque-t-on pas de recréer demain des risques
d'affrontement comme on l'a connu avant la guerre de 1914-1918 entre
les blocs européens ?
Or aujourd'hui nous sommes dans une situation nouvelle : nous
sommes face à des problèmes globaux planétaires appelant des
solutions et des coopérations globales : pensons aux enjeux du
réchauffement climatique, de la fragilité de la couche d'ozone, des
déplacement massifs de population, des risques de destruction
planétaire par les armes nucléaires ?
Ne faut-il pas réfléchir, se ré-approprier pour les
retravailler, des concepts des années 1990, de l'après Guerre
froide comme l'idée de "maison commune", lancée
alors par Gorbatchev ? Oui, notre planète est notre maison commune
et nous possédons même, déjà, le « règlement de
copropriété » de cette maison avec la Charte des
Nations unies !
C'est dans le cadre général de cette réflexion qu'il faut
innover, envisager un statut spécial pour l'Ukraine. Pourquoi pas
un statut de "pays protégé", par exemple ?
En 2005, le Secrétaire des Nations unies, Kofi Annan avait fait
adopter par l'Assemblée générale des Nations unies le concept de
la "responsabilité de protéger", qui pointait la
responsabilité du Conseil de sécurité pour protéger les
individus, contre les génocides, les crimes contre l'humanité.
Certes, la protection des États existe de fait puisqu'elle est au
cœur de la Charte des Nations Unies, mais, peut-être, faut-il
renforcer cette préoccupation en créant un statut particulier de
« pays protégé », pour faire face à un certain
nombre de situations régionales, où des États sont menacés dans
leur existence même. Le Conseil de sécurité pourrait prendre cette
décision après la conclusion ou en garantie d’un accord de paix.
S’il était incapable de prendre cette décision en raison d’un
blocage d’un de ses membres, rappelons que, dans ce cas,
l'Assemblée générale des Nations unies peut le faire en vertu de
la résolution Acheson - Uniting for peace - du 3 novembre
1952 !x
Cette décision obligerait les pays membres du Conseil de sécurité
à assumer la responsabilité de protéger un pays, à garantir son
intégrité sans pouvoir exercer un droit de veto, comme cela est en
train de s'établir pour les cas de génocide.
Oui, le temps presse en Ukraine et dans d'autre parties du monde,
pour construire la paix. Le Pape a raison, il y a besoin de "voies
créatives" pour cela.
Daniel Durand
Président de l’IDRP (institut de documentation et de recherches
sur la paix)
Dernier livre : « La paix, c’est mon droit ! »
- éditions BoD -
https://www.bod.fr/librairie/la-paix-cest-mon-droit-daniel-durand-9782322487745
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Notes