Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
samedi 31 décembre 2022
mardi 13 décembre 2022
Ukraine : quelle paix ? Quelle solidarité ? Soyons clairs !
Tout commentaire sur la guerre livrée actuellement par la Russie à l’Ukraine est superficiel s’il ne prend pas d’abord en compte l’état humanitaire catastrophique de l’Ukraine, les morts et blessés qui surviennent chaque jour, les conditions de vie quotidienne de la population qui s’aggravent avec l’installation d’un hiver très froid. La guerre est meurtrière puisqu’une estimation américaine parle de 200 000 morts ou blessés militaires, répartis moitié-moitié entre les deux camps et de 40 000 victimes civiles ukrainiennes1.
Du côté de la population russe, la situation n’est absolument pas comparable bien sûr, mais il faut prendre en compte aussi l’aggravation de la misère pour les couches les plus pauvres dues aux sanctions et surtout l’accentuation de la répression contre tous les opposants à la guerre, les adversaires de la mobilisation des réservistes. Ils sont des dizaines de milliers à avoir été arrêtés et détenus dans de mauvaises conditions. La guerre a des conséquences des deux côtés, près de 25 000 opposants ukrainiens ont été arrêtés depuis le début du conflit, douze partis d’opposition de gauche ont été interdits dont le parti communiste ukrainien (ses biens ont d’ailleurs été saisis)2. Même s’il est évident qu’il y a un agresseur, la Russie, et un agressé, l’Ukraine, il est totalement simpliste de parler de lutte du totalitarisme contre la démocratie et les enjeux de cette guerre sont ailleurs.
L’urgence est de sortir de cette impasse humanitaire : c’est une exigence éthique et morale. C’est celle qu’ont exprimée plusieurs personnalités notamment le pape François. « Les démocraties visent la paix, qui est beaucoup plus qu’une victoire car elle implique de guérir les causes mêmes qui ont conduit au conflit afin qu’il ne se reproduise pas », a écrit récemment dans le journal La Croix3, Mario Giro, un des responsables de la communauté San Egidio.
Agir pour la paix et l’arrêt des combats est d’autant plus nécessaire que la situation actuelle peut durer de longs mois : les forces sur le terrain se neutralisent. Les Ukrainiens n’avancent plus vraiment malgré le matériel moderne envoyé par les Américains et les Européens, Les Russes qui se sont installés dans une guerre d’usure commencent à faire venir du matériel plus moderne sur le terrain : ce serait le cas de leurs derniers chars d’assaut, les T-14 Armata4 qui démodent largement les chars Leclerc envoyés par la France.
De nombreux experts militaires estiment que si la guerre ne peut être gagnée militairement par une des parties, il faut trouver une issue négociée, une issue politique et diplomatique.
Cette constatation est partagée aujourd’hui, par exemple, par le chef d’état-major américain, le général Mac Kinley 5, le dernier en date à s’exprimer, étant le général de Villers6, ancien chef d’état-major français.
Il semble d’ailleurs que de petites évolutions aient lieu sur le plan diplomatique.
Le Président Biden se montre aujourd’hui plus modéré dans ses déclarations comme on a pu le constater lors de l’affaire du missile, finalement ukrainien, retombé sur le sol polonais. Le président Macron a reconnu à Rome qu'une paix était "possible" en Ukraine quand les Ukrainiens "le décideront" et de rappeler que "La paix se bâtira avec l'autre, qui est l'ennemi d'aujourd'hui, autour d'une table"7. Il faudra « au final trouver un accord » pour mettre fin au conflit en Ukraine, a dit Vladimir Poutine, ce vendredi 9 décembre.
Une évidence progresse : celle que tout conflit a une issue politique, et se termine par un accord diplomatique qui est toujours un compromis : l’enjeu étant qu’il soit le plus évolutif possible, sans entériner définitivement des situations injustes sur le plan du droit international.
Mais il faut parler clair et distinguer deux processus à la démarche et au rythme distinct. Le premier vise à l’arrêt des combats, des accords parfois partiels et temporaires autour de celui-ci (cessez-le-feu temporaires ou définitifs, couloirs humanitaires, échanges de prisonniers, mesures d’aides à la population civile en terme de nourriture, d’accès aux soins, au chauffage, etc.), c’est-à-dire la « paix du moment ». C’est le moment de paix indispensable pour arrêter les souffrances civiles et répondre aux urgences et nécessités humanitaires. C’est en énumérant ces tâches que l’on voit mieux la nécessité de redonner à l’ONU et à ses diplomates la place de premier plan qui leur revient, car ce sont eux, les experts, capables de fournir une approche humanitaire globale et impartiale8.
Ces canaux de discussion ouverts (certains semblent commencer de l’être aujourd’hui, notamment semble-t-il au niveau des Nations unies et par la diplomatie du Vatican)) facilitent le développement d’un processus de discussion pour des accords politiques de fond, qui seront la base d’accords diplomatiques de plus longue durée, préparant une paix plus solide, voire même aider à un processus de réconciliation.
Ceux qui déclarent que tout cessez-le-feu serait « déposer les armes », « entériner l’occupation » du territoire ukrainien, soient font fi des souffrances quotidiennes de la population lorsqu’il s’agit de “conseilleurs” extérieurs au pays, soient s’enferment dans une position nihiliste sans issue.
Une situation diplomatique n’est jamais figée définitivement, son évolution dépend des volontés politiques mises en œuvre. Travailler à des formules de cessez-le-feu global ou partiel ou temporaire n’est pas remettre en cause la souveraineté de l’Ukraine.
Premier exemple : l’application des accords de Minsk en 2014 par les deux parties auraient dû déboucher sur un maintien de l’intégrité territoriale de l’Ukraine avec l’acceptation d’une certaine autonomie du Donbass. On sait que la dégradation de la situation a résulté des violations des accords menées par les deux parties sans que la communauté internationale intervienne (en fait il y a eu une aide occidentale très documentée de soutien aux attaques de l’armée ukrainienne en 2019).
Deuxième exemple : il est fourni à contrario par l’interview que Lionel Jospin vient d’accorder au JDD ce dimanche 10 décembre dans laquelle il « pousse au crime » en réclamant la défaite militaire de la Russie comme seule solution au conflit d’aujourd’hui. Les observateurs sérieux de la situation internationale ne seront pas dupes de cette manœuvre pour allumer un contre-feu visant à faire oublier les erreurs politiques de son gouvernement envers les garanties de sécurité à apporter à la Russie autour des années 2000.
L’Union européenne aura donc demain la responsabilité d’avoir une approche politique équilibrée entre Russie et Ukraine pour éviter les errements du passé tant à la fin des années 90 qu’après 2014 et la guerre de Crimée. C’est à cette condition que nous réussirons à construire une « nouvelle architecture de sécurité », notion qui revient dans le débat, bien tardivement malheureusement, et qui mérite que des initiatives politiques soient prises, en prenant en compte les intérêts de toutes les parties. C’est ce qu’avait reconnu dans un premier temps, début décembre, le président Macron en estimant qu’il fallait donner des «garanties» à la Russie pour trouver un bon équilibre. Dommage qu’il soit revenu sur ses déclarations sous la pression de certains gouvernements d’Europe de l’Est9. Relancer l’idée d’une Conférence pan-européenne de sécurité est certainement une des meilleures voies à suivre.
Un débat s’ouvre aujourd’hui dans l’opinion française sur les conditions de la solidarité politique avec le peuple ukrainien et sur la voie à suivre pour promouvoir la paix dans ce conflit.
Rappelons que la solidarité humaine et fraternelle avec la population civile ukrainienne est nécessaire, elle s’exerce largement avec tout l’élan de générosité dont les Français sont capables. Elle se manifeste au travers des collectes de dons divers, au travers de l’accueil et de l’accompagnement des réfugiés dans nos communes.
Concernant la nature de la solidarité politique, une partie de la gauche française à l’initiative d’universitaires et intellectuels proches de la gauche radicale (NPA, militants alternatifs rouge-verts) ont constitué notamment le réseau RESU en France (Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine) qui s’appuie sur une analyse que j’estime erronée du gouvernement Zélenski (« Élu par une jeunesse qui rêve de paix et d’ouverture, Volodymyr Zelensky n’est ni dans la surenchère ni dans la provocation à l’égard de la Russie. » ainsi parle de lui un responsable du secteur international de la CGT, le 12 mars dernier dans la revue Options). Ils s’appuient sur la position d’« union sacrée » d’une partie des forces syndicales et militantes ukrainiennes pour parler de « résistance populaire » et appeler au soutien de cette résistance populaire « armée et non-armée » et donc soutenir l’envoi d’armes au gouvernement ukrainien par les pays de l’OTAN. C’est une impasse politique.
Aujourd’hui devant l’évolution de la situation et la montée de l’idée d’accélérer le processus de paix, les mêmes militants ont dans un premier temps appelé à une manifestation le 10 décembre à Paris sur le mot d’ordre « Troupes de Poutine hors de l’Ukraine »10. Ils ont modifié cet appel et l’ont transformé pour cette manifestation en « Appel pour une paix juste et durable en Ukraine »11. Ils reconnaissent que « Toute guerre se termine un jour et toute négociation qui permettrait d’y mettre un terme sera bienvenue », mais énoncent un catalogue de conditions préalables à tout accord de paix, sous l’appellation de « paix juste et durable », reprenant une appellation utilisée dans un autre contexte dans le conflit israélo-palestinien.
Quel est le sens de cette démarche ? Il faut clarifier les choses.
Cela signifie-t-il que tant que ces conditions ne sont pas remplies, il faut continuer la guerre et même au nom de la solidarité avec l’Ukraine continuer d’envoyer des armes ? Si c’était cela, cette démarche aboutirait à affaiblir la pression de l’opinion pour exiger de la France, des membres du Conseil de sécurité qu’ils agissent en priorité pour faire aboutir des négociations de paix.
Au contraire, il est urgent de travailler dans la clarté, de soutenir les initiatives pour la paix qui tendent à se multiplier en Europe, notamment autour du 14 décembre12, visant à préparer un terrain favorable à l’idée de paix.
À ce sujet, je pense qu’un projet de résolution parlementaire alternatif, marquant clairement notre solidarité au peuple ukrainien et la condamnation du gouvernement de Poutine, mais centré autour des efforts à mener pour faire déboucher un processus de paix aurait dû être déposé à l’Assemblée française par les partis de gauche face au texte de résolution de droite, légitimant l’extension de l’OTAN, les envois d’armes sans contrôles et des sanctions économiques aux buts incertains. L’action pour la paix en serait sortie renforcée, au lieu d’avoir un brouillard politique préjudiciable, avec élus socialistes, écologistes et communistes votant la résolution de droite et députés LFI s’abstenant avec le RN.
Les initiatives lancées par les mouvements pacifistes européens reprennent la proposition portée par de nombreuses organisations internationales comme le BIP (Bureau international de la paix) ainsi que le pape pour pousser les belligérants à conclure une « trêve de Noël »13 entre les deux Noëls, le catholique le 25 décembre et le Noël orthodoxe le 7 janvier. Cette idée qui rappelle les « fraternisations de Noël » sur le front en décembre 1914 peut renforcer un climat favorable aux négociations et non aux affrontements.
Une journée mondiale pour la paix en Ukraine en février prochain est également en préparation. C’est de la multiplication de ces initiatives de la société civile, des pressions qu’elles peuvent exercer sur les décideurs politiques dans les deux camps, au-delà des réalités militaires dont on voit clairement aujourd’hui les impasses et les risques de dérapages, que des solutions, non décidées à l’avance par des “penseurs” ou des dirigeants politiques, pourront progressivement voir le jour. Ce sont ces options claires dont nous avons besoin aujourd’hui.
Daniel Durand – 13 décembre 2022
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1 - “Le nombre de soldats russes et ukrainiens tués ou blessés depuis l’invasion du 24 février a probablement atteint les 200 000 unités, selon le militaire. Bien plus de 100 000 soldats russes ont été tués ou blessés dans cette guerre, et l’Ukraine a probablement souffert d’un nombre de victimes similaires.” dans Courrier international https://www.courrierinternational.com/article/conflit-selon-les-etats-unis-la-guerre-en-ukraine-a-fait-200-000-victimes-chez-les-soldats
5 - «La probabilité d'une victoire militaire ukrainienne, expulsant les Russes de tout l'Ukraine y compris (...) la Crimée, la probabilité que cela se passe de sitôt n'est pas très élevée militairement», a déclaré le général rk Milley lors d'une conférence de presse.
6 - «Quand un dictateur est dans un tunnel, il ne recule pas. L'enjeu de mon point de vue, c'est d'arrêter l'escalade. Depuis le 24 février, nous sommes dans une escalade permanente. [...] Il est temps de trouver une solution qui ne soit pas déshonorante pour les Ukrainiens qui se battent courageusement et qui ont été attaqués. Car il y a bien un attaquant et un attaqué», a-t-il abondé sur BFMTV. In https://www.lefigaro.fr/international/la-guerre-en-ukraine-n-est-pas-dans-l-interet-des-pays-europeens-estime-le-general-pierre-de-villiers-20221110
8 - Voir les réussites des opérations de maintien de la paix de l’ONU au travers de douze cas : https://news.un.org/fr/story/2022/12/1130427
10 - http://www.gds-ds.org/troupes-de-poutine-hors-de-toute-lukraine/
13 - https://www.ipb.org/ipb-christmas-peace-appeal/