Le mot « sécurité »
est aujourd'hui omniprésent. Dans un colloque organisé le 30
janvier dernier, par le Mouvement de la paix et la CGT, j'ai rappelé
les différentes évolutions du concept dans le siècle dernier, d'un
point de vue d'internationaliste.
Une définition d’abord :
si l’on regarde une encyclopédie ou Wikipedia, on lit que,
psychiquement, la sécurité est « l’état d’esprit
d’une personne qui se sent tranquille et confiante ».
Pour l’individu ou un groupe, c’est « le sentiment (bien
ou mal fondé) d’être à l'abri de tout danger et risque ».
On voit que cette définition
comporte deux facteurs : une appréciation subjective, celle du
degré ou du type de sécurité que l’on souhaite obtenir à un
moment donné et un second facteur plus matériel, le danger ou le
risque contre lequel, on veut être protégé.
Traditionnellement, on a
distingué deux types de sécurité : celle sur le plan
extérieur, international, des relations entre des états et celle
sur le plan intérieur des relations entre des individus dans un
état, ou entre des individus et cet état.
Si on raisonne sous l’angle
des menaces, des dangers :
La sécurité face au danger,
à la menace pour les individus, c’est la protection contre
l’oppression, la liberté de vivre, travailler, faire vivre une
famille, être protégé contre l’arbitraire, violence, voire les
guerres donc vivre en paix et en liberté.
Cette sécurité intérieure
renvoie aux notions d’ordre, de liberté et de justice donc à deux
institutions, la police et la justice.
La sécurité pour des États,
c’est vivre en paix, sans guerre, c'est l’absence de menace
contre son existence et ses valeurs. La paix est donc, dans ce cas,
d'abord, absence de guerre : être protégé d’une guerre,
c'est être en sécurité. Pour un État, la protection de ses
valeurs a renvoyé dans tous les siècles passées à la notion de
force militaire, de défense et d’armée.
Je ne m’étendrai pas sur
les évolutions de la sécurité intérieure, dans l’histoire, pour
un pays comme la France ou pour tous les pays, en général, :
elle a varié suivant les périodes, les systèmes politiques, les
avancées ou les reculs de la démocratie.
Sur le plan de la sécurité
extérieure, les évolutions du concept de sécurité ont été
considérables au cours du dernier siècle.
Schématiquement, jusqu’à
la guerre de 14-18, chaque État assure sa protection, sa sécurité,
seul ou au travers d’alliances avec deux-trois- quatre autres états
contre d’autres.
La grande évolution a lieu en
1945 avec l’adoption de la Charte des Nations unies et la création
de l’ONU. Deux principes majeurs sont posés : tous les
peuples, donc tous les états, font partie de la même communauté
mondiale, la force armée et la guerre sont bannies de leurs
relations. De ce fait, la communauté défend l’un des siens si
elle estime qe la sécurité et la paix internationales sont
menacées. Elle peut même employer la force armée : c'est le
fondement du chapitre 7 de la Charte des Nations unies. C'est le
principe d'une sécurité collective qui est posé.
La deuxième grande évolution
a lieu après la fin de la guerre froide. On se rend compte que la
paix, la sécurité internationale, peuvent être affectées par de
nouveaux défis ou nouvelles menaces. On va parler de sécurité
environnementale, sociétale, économique…
Cette évolution est très
bien reflétée par le rapport remis en 2005 par le Secrétaire
général de l’ONU, Kofi Annan : intitulé « Dans une
liberté plus grande », et qui dit en préambule : « Il
n’y a pas de sécurité sans développement, il n’y a pas de
développement sans sécurité, et il ne peut y avoir ni sécurité,
ni développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés. »
La sécurité doit donc être
collective, mais aussi globale.
La dernière évolution du
concept a lieu dans la première décennie du XXIe siècle avec un
nouveau questionnement : peut-il y avoir une sécurité globale
planétaire sans que les humains en tant qu’individus ne soient
eux-mêmes en sécurité, c’est-à-dire sans qu’ils ne soient
tous capables de vivre à l’abri de la peur (« free of
fear »), de la menace mais aussi en étant capables de vivre
leur émancipation, de réaliser leurs potentialités. C’est ainsi
que se développe le nouveau concept de sécurité humaine. C’est
dans ce contexte que sera adopté par le Conseil de sécurité la
notion du « devoir de protéger » des populations contre
une menace de génocide, tant extérieure que intérieure.
Une autre évolution majeure
se produit dans cette même décennie.
L’apparition du danger
terroriste avec l’attentat contre les Twin towers en 2001, le
développement du réseau Ben Laden, puis Daesh, pose un problème
nouveau : ce sont des entités non-étatiques les adversaires,
mais qui utilisent des moyens qui peuvent être assimilés à des
moyens militaires.
Aux États-Unis dès 2001,
avec le Patriot Act, en France, dès 2008 avec la LPM, puis plus
tard, avec la loi sur le Renseignement, est avancée l’idée de
fusion de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure
dans le concept de « sécurité nationale ». Y sont
intégrées la lutte contre le terrorisme mais aussi la lutte contre
la cyberguerre qui, elle-aussi, n’est pas le fait forcément
d'entités étatiques, mais qui peut avoir des buts militaires :
destructions d'équipement, de communications.
Quelles conséquences ?
Le concept de sécurité nationale va mêler ce qui était distinct
auparavant : la Défense et l’Intérieur. Des organismes de
coopération sont mis en place.
Cela remet en cause la place
du contrôle des procédures par la justice . On sait bien que
la garantie individuelle des citoyens pèse peu en temps de guerre.
C’est dans l’évolution de
ce contexte qui ne date pas de novembre dernier qu’il faut placer
la réflexion sur la sécurité aujourd’hui.
Deux ou trois réflexions pour
finir à propos de la « sécurité absolue » et des
enjeux de « sécurisation sociale ».
Il y a un débat récurrent et
démagogique : peut-on assurer une sécurité absolue, totale, à
100 % : je réponds NON et non. La seule sécurité absolue,
c’est la destruction totale de l'autre. Sauf que c'est pratiquement
impossible et que le but, c'est d'être en sécurité et de vivre en
paix. Or, si votre relation avec l'autre, les autres, a été
d'essayer de les détruire, vous n'arriverez jamais à vivre ensemble
un jour, et à construire ensemble la paix. C'est ce qui avait amené
le philosophe Kant, à poser ce postulat : la seule sécurité,
c'est de créer la confiance entre les acteurs pour construire la
paix. Donc la préoccupation première est de réfléchir, non
seulement à sa propre sécurité, mais aussi et surtout à quoi
faire pour que l'autre soit en confiance, donc à quoi faire pour
qu'il se sente en sécurité.
C’est cela l’assise
théorique du primat de la négociation politique pour résoudre un
conflit : créer les conditions de la confiance entre les
acteurs, donc penser prioritairement à la sécurité de l’autre.
Dans la lutte contre Daesh,
évidemment, le problème est plus complexe. Nous sommes devant des
criminels donc la justice doit être impitoyable, pour les mettre
hors d'état de nuire, pour que les populations victimes puissent
retrouver un jour la paix, la sécurité et la confiance. En effet,
la lutte contre Daesh doit être menée pour isoler la poignée de
criminels de ceux qui gravitent autour (populations sous influences,
pays et acteurs de la région, jeunes tentés par la radicalisation),
afin qu’ils acceptent de ne pas soutenir Daesh et d'aider à une
construction politique, basée sur les négociations et la
reconstruction.
Dans ce rétablissement de la
confiance pour tous les acteurs au Moyen-Orient, figure la
reconnaissance de l’État de Palestine et la sécurité de la
population d’Israël, la création d'une zone exempte d'armes de
destruction massive, dans la foulée de l'accord sur le nucléaire
iranien.
Le mot voisin de sécurité
est « sécurisation » : un concept qui implique une
action volontaire, pour qu'un objectif soit en sécurité. Cela peut
être un enjeu de politique internationale, économique, purement
militaire mais, aujourd'hui, ce terme est employé aussi dans la vie
sociale : sécurisation des parcours professionnels, des
parcours de formation.
Toute sécurisation, pour
réussir, doit faire du but choisi un enjeu de sécurité, reconnu
comme fondamental, auprès de l'opinion publique.
Mais, voyons bien qu'en terme
de vocabulaire, le concept de sécurité renvoie une perception
positive, rassurante mais qui peut avoir un double effet pervers :
- soit, il permet de justifier
n'importe quelle mesure, y compris au détriment d'une autre valeur
essentielle : c'est le cas de l'opposition état d'urgence et
libertés démocratiques.
- soit, il peut produire un
forme d'attentisme, celle où l'on revendique une protection
individuelle, égoïste, sans se préoccuper des causes qui
produisent cette insécurité, donc sans agir pour des changements du
contexte.
En France, où existe, jusqu'à
présent, un maillage de protection sociale, un filet de sécurité,
comment faire bouger les citoyens pour ne pas se contenter de
défendre la sécurité sociale, mais d'agir sur les prix des
médicaments et les agissements des laboratoires pharmaceutiques ?
Si l'on parle de sécurisation
des parcours professionnels de la formation et de l'emploi, comment
faire agir, non seulement sur l'amélioration de l'indemnisation du
chômage, mais aussi pour la modification du contexte économique :
contre la financiarisation, la concurrence entre travailleurs à
l'échelle européenne et mondiale ?
Si l'on parle de sécurité
humaine, règlement politique des conflits, comment faire agir pour
donner des moyens aux Nations unies pour des moyens efficaces
d'alerte et de prévention des crises, par exemple, sans se contenter
des expéditions de rétablissement de l'ordre et de la sécurité, a
posteriori ?
Nous devons ainsi avoir
l'exigence de refuser la démagogie : non, la sécurité
absolue, celle qui isole et repousse les autres, n'existe pas.
Il n'y a pas de recette
miracle de sécurité mais un ensemble complexe de sécurisation par
le renforcement du droit social, et du droit international, mais en
même temps par le développement d'actions pour modifier les
rapports de force sociaux et les environnements stratégiques,
politiques, économiques dans lesquels nous construirons une sécurité
participative, ouverte et en mouvement