La réunion de rentrée des ambassadeurs français qui avait lieu cette année les 28 et 29 août est traditionnellement un moment d'explication pédagogique de la diplomatie française. Le président Hollande a prononcé le discours d'ouverture le 28 août et Laurent Fabius celui de clôture le 29.
Qu'en retenir ? Les deux hommes ont largement insisté sur les dangers de notre époque : "un contexte particulièrement lourd" pour François Hollande pour qui, "rien ne serait pire que de faire croire que le monde n'est pas dangereux. Il l'est". Fabius va même plus loin en déclarant : "rarement avons-nous connu une telle accumulation de dangers, face auxquels la France doit être et est une puissance de paix".
Cette thématique du "monde dangereux" sert à démontrer plusieurs choses : la France (et ses dirigeants) agit avec fermeté, elle doit maintenir ses moyens militaires, elle doit assumer un rôle de puissance mondiale.
Cela permet à François Hollande de faire un "package" de toutes les positions françaises dans les différents conflits en esquivant les difficultés rencontrées dans plusieurs situations (Centrafrique, Syrie, par ex). À ceux qui soulignent que la France a eu parfois du mal à trouver des soutiens internationaux, il répond "que nous ne sommes pas seuls, nous sommes les premiers".
Mais dans son souci de montrer que la France est partout à l'initiative ("Nous sommes parfois même des pionniers dans la solidarité internationale."), le président Hollande en arrive à ne pas mentionner une seule fois (sinon pour le sommet sur le climat en 2015) le rôle et le soutien à apporter à l'organisation des Nations unies, pourtant la garante de la légitimité internationale ! À trop vouloir prouver, le discours présidentiel laisse sur sa faim : quelle responsabilité de la France dans l'aggravation et l'enlisement de la guerre civile en Syrie, pourquoi un soutien si fort dès le début aux opposants de la place Maïdan de Kiev en sachant que l'Ukraine était une nation fragile, pourquoi un soutien sans nuance au gouvernement israélien au début du conflit à Gaza sans pressentir qu'un bain de sang risquait de se produire ?
Il faut guetter quelques détours de phrases pour entendre des amorces de réflexion. François Hollande aborde rapidement la nécessité de ne pas continuer à mettre l'Iran à l'écart de la résolution des conflits dans la région ("C'est vrai que la crise irakienne démontre que nos préoccupations ne divergent pas toujours avec l'Iran et que ce pays peut être un interlocuteur (...) La France est prête à considérer l'Iran comme tel."). Par contre, le président ne reconnaît que du bout des lèvres que la Russie est un interlocuteur essentiel ("J'ai dit plusieurs fois à Vladimir POUTINE que la France et l'Union européenne souhaitaient poursuivre l'approfondissement de nos relations avec la Russie. Parce que la Russie est un grand pays, parce que la Russie a également son destin sur le continent européen et qu'il y a un lien historique, culturel, économique entre la Russie et la France. Mais, aujourd'hui, la crise ukrainienne est un blocage.").
Par contre, concernant le conflit israélo-palestinien, François Hollande essaie de revenir sur son attitude jugée par beaucoup trop tiède. Il affirme que "C'est le chemin de la paix qu'il convient de retrouver. Au plus vite. Chacun en connaît les conditions et les paramètres. Je vais les répéter : un État palestinien démocratique et viable, vivant aux côtés de l'État d'Israël en sécurité". Il propose que l'Europe s'engage plus fortement : "elle doit agir et utiliser tout le potentiel, par exemple, de l'initiative arabe de paix. Elle n'a pas été suffisamment prise en compte depuis 2002. C'est l'Europe qui fait beaucoup pour reconstruire, développer la Palestine. C'est l'Europe qui doit aussi faire pression, sur les uns et sur les autres, et ne pas être simplement un guichet vers lequel on s'adresse pour effacer les plaies de conflits récurrents". Mais pour que cet appel soit entendu dans une Europe aux positions si diverses, il faudra plus qu'un discours : il faudra des initiatives politiques fortes. François Hollande le voudra-t-il ?
Il revenait à Laurent Fabius lors de la clôture, d'essayer de montrer quelles cohérences et analyses de la situation internationales sous-tendaient le long égrenage des positions présidentielles. Il l'a fait en s'efforçant de re-"gauchir" le discours présidentiel, en justifiant par exemple "le choix par le président de la République de l’action, parfois de l’intervention, dès lors que celles-ci sont nécessaires et conformes au droit international, par exemple au Mali ou en Centrafrique. (...)D’où aussi notre action constante pour rechercher une paix durable entre Israël et les Palestiniens"...
De la même manière, il corrigea certains "oublis" du président comme, par exemple, sur le rôle des Nations unies : "nous plaiderons plus que jamais pour une société internationalement mieux régulée, sur les plans politique, économique, social et environnemental. De là notre appui constant à l’ONU, qui doit être réformée afin d’être plus représentative et efficace".
Enfin, il reconnut que " Les grands exercices de remodelage menés de l’extérieur après les deux guerres mondiales ou la décolonisation ne sont plus possibles : Libye, Syrie, Irak, Ukraine, Bosnie, Centrafrique, les progrès se feront à la fois par une approche internationale et, au cas par cas, avec les parties prenantes de l’intérieur".
Pour autant, le ministre a consacré la plus grande part de son discours à un essai de définition de ce qu'il appelle la "diplomatie globale" au coeur de laquelle, crise aidant, il place la "diplomatie économique" même s'il prend la précaution de dire que "la diplomatie économique ne doit en aucun cas nous conduire, vous conduire à négliger les autres aspects, tout aussi nécessaires à notre diplomatie globale. (...) La diplomatie stratégique est essentielle (les alliances, la sécurité, les partenariats politiques...), mais le sont aussi la diplomatie culturelle et éducative (les échanges d’étudiants, le développement de la francophonie, les années croisées,notre audiovisuel extérieur...), la diplomatie scientifique, la diplomatie sportive et la diplomatie économique."
C'est au nom de cette "diplomatie globale" que Laurent Fabius a obtenu que son ministère s'appelle désormais : "Ministère des Affaires étrangères et du Développement international" et devienne le Ministère de "l'action extérieure de la France" : vision stratégique ou pré carré pour une ambition personnelle ? L'avenir le dira.
Cette journée des ambassadeurs a permis de préciser dans les discours un certain nombre des orientations de la politique extérieure française. En même temps, les esprits critiques rétorqueront que l'écart est souvent grand entre les intentions affichées et les actions concrètes sur le terrain.
Nous aurons l'occasion d'y revenir...
Daniel Durand (31 août 2014)
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