Nous avons assisté au spectacle, la semaine dernière, de mises en scène théâtralisées des débats sur l’avenir du monde, à la sauce Trump. Dans ce contexte, je prolonge la réflexion entamée dans mes deux précédents article de blog : le 14 février avec « Discussions Trump – Poutine – les nécessités d’un recadrage » et le « Discussions Trump - Poutine - Pour la paix, l’Europe est-elle l’horizon ultime ? (suite – 2) ».
J’ai terminé mon précédent article par cette réflexion : "les intentions nobles affichées par les dirigeants européens, de défense de la paix et de la sécurité en Europe, sont-elles les seules raisons de cette course aux militarisations ?"
La Chine, ennemi principal
Aux États-Unis, depuis le président Obama, il est devenu clair que l’objectif ultime de la politique états-unienne est de se préparer à un affrontement avec la Chine à l’horizon 2040-2050. Obama avait commencé de recentrer la politique US vers le Pacifique. Jo Biden avait conservé l’objectif, tout en étant repris par son ancien tropisme de la Guerre froide contre le traditionnel ennemi russe. Donald Trump n’a pas abandonné cet objectif final mais on peut estimer qu’en homme d’affaires pragmatique, il ne veut pas disperser ses forces et son argent sur des objectifs secondaires pour lui. Cela explique son souhait de mettre de côté le conflit ukrainien, de ne pas perdre de temps en affrontements avec la Russie pour se concentrer sur l’adversaire principal sur le plan commercial et stratégique que constitue la Chine.
Du côté européen, ne nous trompons pas d’analyse, la Chine est aussi l’adversaire fondamental. Dans un discours aux ambassadeurs, Emmanuel Macron avait parlé de la Chine comme « adversaire existentiel », analyse alors partagée par plusieurs dirigeants européens. En avril 2019, Bruxelles avait souligné que la Chine était un « concurrent économique en quête de leadership technologique, un rival systémique promouvant des modes alternatifs de gouvernance ». Le moyen d’atteindre l’objectif est différent de celui de Trump. Les dirigeants de l’Union européenne, allemands au premier plan, puis rejoints par Emmanuel Macron depuis un an, ont adopté une autre stratégie. Il faut écraser la Russie économiquement, militairement et politique (c’est la politique de « la paix par la force » d’Ursula von der Leyen) afin qu’elle ne puisse constituer demain un allié utile pour la Chine. C’est cette stratégie qui sous-entend les appels des dernières années à réaugmenter les budgets militaires, d’abord à 2 % du PIB, ce qui a été atteint globalement presque partout en Europe en 2024, puis maintenant à 3,5 % puis 5 % en se servant des déclarations outrancières de Donald Trump.
Cela explique le choix fait ces jours par les dirigeants européens de focaliser leurs déclarations politique sur « l’Europe de la Défense » et non « l’Europe de la sécurité commune », dont j’ai montré les conséquences dans mon dernier article.
La militarisation européenne
Approfondissons ce que signifient certains projets tels que la « défense européenne » ou la création d’un OTAN européen. Leur justification militaire devant une menace « d’agression russe » généralisée contre l’Europe, mérite pour le moins débat. Nous ne sommes plus au temps du pacte de Varsovie et de l’URSS avec des centaines de milliers d’hommes, de chars mobilisables. Toutes les études sérieuses aujourd’hui montrent que sur le plan conventionnel, les pays européens, avec ou sans l’OTAN, ont une supériorité militaire sur la Russie. On a vu l’état réel de l’armée russe et les difficultés qu’elle a eues à occuper une ligne de front de moins de 1000 km de large et d’une centaine de profondeur, y compris en termes d’approvisionnement en carburant. Pourrait-elle demain élargir un théâtre d’opérations, y compris dans une grande profondeur ? L’OTAN n’a pas disparu par magie, d’un claquement de doigt de Trump et il est peu probable que les militaires américains, présents dans toutes les chaînes de commandement, acceptent sans réagir un changement d’orientation complet du nouveau Dr Folamour de la Maison Blanche.
En même temps, l’histoire nous enseigne que les armes fabriquées servent un jour ou l’autre : la relance de la course aux armements en Europe aurait bien sûr des conséquences sur la militarisation des autres continents, et conduirait inéluctablement à de nouveaux affrontements meurtriers. Est-ce le monde que nous voulons laisser à nos enfants ?
Comment fonctionne cette stratégie sur le plan français ?
Le tournant dans les positions politiques d’Emmanuel Macron sur le plan européen, s’est produit en février 2024 quand il s’est rangé résolument du côté des militaristes,en évoquant l’envoi de troupes en Ukraine et en insistant sur la nécessité du « réarmement » de la France. Il n’a cessé depuis de surfer sur cette thématique. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette évolution. La première est de trouver la bonne posture lui donnant une stature internationale qu’il a du mal à incarner.
La seconde, sur le plan intérieur, est celle d’endosser le costume du chef des armées, du « chef de guerre » lui donnant là aussi une autre stature pour affronter les aléas de la politique intérieure. La dramatisation actuelle de son discours sur la guerre ne participe-t-elle pas un peu de cette orientation ?
Posture risquée car en France, porter les dépenses militaires à 5 % du PIB signifierait augmenter le budget militaire de plus de 80 milliards d’euros !
Le très sérieux site https://www.opex360.com/ pose d’ailleurs la question de savoir « comment les armées seront en mesure de dépenser une telle somme dans la mesure où les programmes d’armement ne peuvent pas aller « plus vite que la musique ». En outre, il faudrait que la Base industrielle et technologique de défense puisse suivre la cadence, de même que le recrutement ».
Quand on sait que l’objectif budgétaire du gouvernement était de diminuer les dépenses de 70 Mds, que la Cour des comptes estime qu’il faut économiser 30 Mds sur les retraites d’ici 2030, c’est un tsunami social qui est préparé par le pouvoir ! Comment le faire accepter sans le justifier par une situation mondiale dramatisée à l’extrême ? Nous avons un exemple de cette propagande en cours d’élaboration avec la phrase ridicule de Jean-Noël Barrot : « la ligne de front ne cesse de se rapprocher de nous » !
On ne peut s’empêcher de relier cette situation à ce qui est la préoccupation politique principale d’Emmanuel Macron ; comment rester au pouvoir après 2027 ? La première voie est de l’ordre de la modification constitutionnelle, ce qui explique la nomination d’un homme lige comme Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel. La seconde voie pourrait être, selon certains politologues, celle de la situation exceptionnelle de crise, justifiée par la menace d’une guerre, qui pourrait déboucher sur des formules d’état d’urgence, décalant les échéances électorales.
Hypothèses conspirationnistes, me direz-vous ? Pour ne pas tomber dans ce travers, j’avance effectivement ces réflexions avec prudence. Mais je le répète, nous sommes dans une période de théâtre d’ombres, où la communication de crise, les mises en scène, l’utilisation des réseaux sociaux visent à brouiller les réflexions lucides et les reculs nécessaires.
Nous avons en tout cas un repère d’expériences vécues : celle de ces 25 dernières années. Toutes les tentatives de solutions militaires aux crises (Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, zone saharienne) ont échoué et ont conduit à l’aggravation des situations. Priorité aux solutions politiques et diplomatiques comme nous y enjoint l’article 1 de la Charte des nations unies, voilà ce qui doit rester notre boussole.
Daniel Durand – IDRP
4 mars 2025
.
Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
mardi 4 mars 2025
Discussions Trump - Poutine – Derrière les jeux de rôle, des buts inavoués ? (suite - 3)
Inscription à :
Articles (Atom)