"DROIT INTERNATIONAL ET PUISSANCE ÉTATIQUE : AFFRONTEMENT ULTIME ?
« DROIT INTERNATIONAL : LA FORCE EST AVEC TOI »
Daniel Durand i
(intervention prononcée à Bordeaux le 3 mars lors des 17émes rencontres "Nouvelles Pensées Critiques et Actualités de Marx pour de nouveaux horizons de civilisation" sur le thème "Révolution ! Vous avez dit Révolution ?"
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Cette contribution s’inscrit dans le cadre de mes réflexions démarrées en 2018 avec mon ouvrage « 1914-1918 : CENT APRÈS, LA PAIX ! ii ». Celles-ci ont évidemment été percutées, questionnées par la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, depuis bientôt trois ans, et exacerbées par les opérations, de plus en plus qualifiées de « génocidaires », menées par le gouvernement israélien à Gaza, à la suite de l’opération terroriste menée notamment par le Hamas, le 7 octobre 2023. Une partie de ces réflexions sont contenues dans mon livre « La paix, c’est mon droit iii » et dans cet esprit, j’avais délivrée une contribution l’année dernière aux Rencontres, sur le thème du Droit humain à la paix iv.
En ce mois de décembre 2024, jamais, sans doute, la question du droit international n’a été aussi présente dans le débat. Elle l’est, notamment, sous la thématique du « droit piétiné », ou du « droit impuissant ». Je vous livre un florilège non exhaustif au travers de quelques titres ;
"L’ordre international piétiné par ses garants" - Le Monde diplomatique, Anne-Cécile Robert ; "Les règles de la guerre et le droit international humanitaire sont clairement bafoués". Texte de l’IFRI, 5/10/2023 ; "Un «droit international» quasi impuissant » - titre sur Le Devoir – 8/07/2014 ; "La Cour pénale internationale entre illusions et impuissance" – étude de la revue-histoire.fr, 3 janv. 2024. Pour finir, une citation de Monique Chemillier-Gendreau - Colloque de l’Union des fédéralistes européens. du 12 octobre 2024 : « Le monde d’aujourd’hui, devenu un village par la puissance des communications et du commerce, ne dispose pourtant pas d’un droit commun à l’application effective. Le droit international élaboré au XXème siècle et les institutions alors mises en place, doivent aujourd’hui être considérées comme un échec » v.
On peut dire que rares sont les affirmations inverses comme ce titre d’une étude de Adam Baczko - site le Sciences-Po et intitulée « Conflits armés : l’impact croissant du droit international »vi ; celle du juriste Johan Soufi, sur Vie publique et titrée « Justice pénale internationale : quel bilan ? » qui relève que « La Cour pénale internationale (CPI) joue un rôle croissant sur l’échiquier géopolitique mondial » vii.
Il est donc un peu osé de ma part de poser un postulat presque complètement opposé à la thèse dominante de l’échec du droit international !
Je prétends en effet que le droit international sur le terrain de la paix, des conflits et. des guerres connaît une extension de son champ d’application, une implication d’un niveau de plus en plus élevé et en parodiant un dialogue du film Starwar : « La Force est avec toi jeune Skywalker. Mais tu n'es pas encore un Jedi» viii, je postule l’idée que le droit international contestera demain la puissance et la sacro-sainte souveraineté des États. On m’accusera d’idéalisme béat, j’en prends le risque.
Ma contestation repose sur le fait qu’il faut différencier deux visons du droit international et de son rôle. La première est une vision « photographique », donc statique, à un instant T, de l’application du droit international. On peut donc dire qu’en ce mois de décembre 2024, l’application du droit international, du droit international humanitaire et même du droit de la guerre et dans la guerre, est un échec à Gaza, par exemple.
Je pense qu’il faut prendre une autre posture, une deuxième vision : une vision cinématographique, donc en mouvement, qui nous permet d’analyser l’évolution de la place du droit international, de son respect ou non, et c’est en observant celle-ci que j’ose poser mon « La Force est avec toi » !
Pour développer ce propos, je reviendrai rapidement, de manière très simplifiée, sur la naissance, la diversité et l’évolution du droit international au cours du dernier siècle.
Le droit international : une notion en évolution
Je rappelle une évidence. La perception du grand public est de parler du droit international comme d’une évidence, une entité qui serait là immuable, d’où les réflexions « aujourd’hui, le droit international est bafoué, on ne respecte plus.. »Le droit international est jeune, il est lié à l’histoire récente des États-nations, et surtout à l’évolution des relations internationales au XXe siècle.
La justice internationale
La justice internationale naît avec la Cour permanente d'arbitrage de La Haye, créée en 1899, à laquelle à succédé en 1922 la Cour permanente de Justice internationale (CPJI), tout comme la Société des nations (SDN).
La Cour internationale de justice (CIJ) est créée en 1945 et devient l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Son Statut est annexé à la Charte des Nations Unies dont il est partie intégrante.
Elle peut rendre des arrêts ou des avis consultatifs.
Ses arrêts ont pour but de régler, en application des traités internationaux, les litiges qui sont portés à sa connaissance par les États (différends frontaliers par exemple). Ils sont obligatoires. L’article 94 de la Charte des Nations Unies prévoit que chaque État membre des Nations Unies s’engage à se conformer aux décisions de la Cour internationale de Justice dans tout litige auquel il est partie. Si un État partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d’une décision de la Cour, l’autre État partie peut saisir le Conseil de sécurité des Nations Unies qui peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter la décision.
Au titre de sa compétence consultative, la Cour donne des avis consultatifs sur les questions d’ordre juridique que lui posent les organes des Nations Unies et les institutions spécialisées. Cette compétence est prévue par l’article 96 de la Charte des Nations Unies. Par contre, les avis consultatifs rendus par la Cour sont dépourvus de toute force exécutoire et n'ont qu'une autorité morale.
Mais il est communément admis dans la pratique des États et la doctrine que les avis consultatifs de la CIJ, même s'ils ne sont pas formellement contraignants, ont une valeur juridique et peuvent, à bien des égards, être assimilés à des arrêts juridiquement contraignants.
Le droit international humanitaire
Parallèlement à la justice internationale qui réglemente le droit public entre les États, s’est développé un droit international humanitaire, notamment par l’établissement des conventions de Genève.
La première convention de Genève date de 1864. Deux autres Conventions sont signées en 1906 et 1929. Cependant, les textes qui sont en vigueur aujourd'hui ont été écrits après la Seconde Guerre mondiale. Sept textes ont cours actuellement : les quatre conventions de Genève du 12 août 1949 ; les deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 ; le troisième protocole additionnel de 2005.
Que contiennent les 4 conventions de Genève ?
1ère Convention : protection des malades et blessés des forces armées en campagne.
2ème Convention : protection des malades et blessés et naufragés dans les forces armées sur mer.
3ème Convention : traitement des prisonniers de guerre.
4ème Convention : protection des populations civiles.
Sur le plan des droits humains, on peut estimer que la grande réalisation des Nations Unies après 1945 est d’avoir créé un ensemble complet de standards relatifs aux droits humains – un socle de normes universelles et internationalement protégées auquel toutes les nations du monde peuvent aspirer et souscrire. Les fondements de ces normes sont la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptés par l’Assemblée générale de l’ONU respectivement en 1945 et 1948.
Depuis lors, les Nations Unies ont progressivement élargi le socle des droits humains pour y inclure des normes spécifiques visant les femmes, les enfants (Convention des Droits de l’enfant par ex), les personnes handicapées, les minorités et les groupes les plus vulnérables.
La justice pénale internationale
Si le développement du droit humanitaire permet, en théorie, de protéger et de défendre les victimes des guerres, donc, théoriquement, d’empếcher les crimes de guerre, pendant longtemps, rien n’a existé pour juger et punir les responsables des crimes, puis des crimes contre l’humanité, ce qui relève donc de la justice pénale.
Les premiers exemples de justice pénale internationale sont fournis par les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, établis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale mais qui incarnent à plusieurs égards une forme de "justice des vainqueurs".
Il faut attendre la fin de la Guerre froide pour qu’en 1993 et 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) crée successivement un Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et un Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) afin de juger les principaux responsables des atrocités commises lors des conflits dans ces pays.
Dans la foulée, après une bataille d’opinion, menée notamment par des réseaux d’ONG, le Statut de Rome, est adopté le 17 juillet 1998. Il institue la Cour pénale internationale (CPI) en 2002. Elle est créée pour juger les crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans plusieurs pays dans les années 1990. Première juridiction pénale internationale, la CPI siège de façon permanente.
123 États, dont la France, reconnaissent aujourd’hui sa compétence pour juger les crimes les plus graves commis sur leur territoire et qui touchent l'ensemble de la communauté internationale : crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crimes d'agression.
Pour parler de bilan de la justice pénale et de la justice internationale, il faut prendre en compte l’évolution accélérée de la place prise par celle-ci. L’année 2024, de ce point de vue, a été exceptionnelle, voire historique, marquée par un arrêt de la CIJ puis un avis consultatif, et un mandat d’arrêt très fort délivré par la CPI et actuellement, un nouveau débat vient de s’ouvrir à la CIJ à La Haye.
Pourquoi parler de situation nouvelle en matière de justice internationale inter-étatique ou pénale ?
La Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu un verdict le 26 janvier sur le premier volet de la plainte déposée le 29 décembre 2023 par l’Afrique du Sud contre Israël pour « génocide » à Gaza. Elle a ordonné qu’Israël prenne immédiatement des mesures pour garantir que son armée ne viole pas la Convention sur le génocide. La Cour a également demandé à Israël de laisser davantage d’aide entrer dans l’enclave palestinienne. Toutefois, elle n’a pas ordonné à Israël de cesser ses opérations militaires.
Cette décision est une première qui touche un volet politique direct et vise un pays qui est soutenu par les États les plus puissants de la planète. Il faut comprendre la nouveauté et l'importance de la démarche de l’Afrique du sud auprès de la Cour internationale de justice. C’est l’expression de la volonté de sortir le droit international des rapports de force de sommet, pour ouvrir un débat public, et cela à l’initiative d’un pays du Sud et non d’un des cinq Grands.
Rappelons que les décisions de la CIJ sont contraignantes sur le plan légal mais le tribunal n’a pas les moyens de les faire respecter. Seule une résolution du Conseil de sécurité pourrait obliger dans les faits un État à les appliquer. Or, le Conseil de sécurité est toujours divisé sur le principe d’un cessez-le-feu humanitaire à Gaza. On peut regretter qu'il n'y ait pas encore d'automatisme dans l'application de la décision, mais on voit le chemin : il est possible, s’il existe un rapport de force dans l’opinion, d’obtenir une réunion du Conseil de sécurité et la possibilité d’une résolution.
Six mois après cette décision, le 19 juillet, 2024, la CIJ rend un avis consultatif, qui avait été demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies à la CIJ en décembre 2022, sur « les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans les Territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est ».
La CIJ déclare que « L’utilisation abusive persistante de sa position en tant que puissance occupante à laquelle Israël se livre en annexant le Territoire palestinien occupé et en imposant un contrôle permanent sur celui-ci, ainsi qu’en privant de manière continue le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, viole des principes du droit international et rend illicite la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ».
La CIJ se déclare compétente, et juge que les politiques et pratiques d’Israël dans ces territoires, définis comme « une seule unité territoriale comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza », ne sont pas conformes à la loi internationale.
Ce caractère illicite contraint Israël « à l’obligation de mettre fin à sa présence dans les territoires palestiniens occupés dans les plus brefs délais, (…) et l’obligation de réparer les dommages causés à toutes les personnes morales et physiques concernées. »
La Cour estime que les modalités de la fin de la présence d’Israël dans les territoires palestiniens, avec « évacuation de tous les colons », incombent à l’Assemblée générale de l’ONU et au Conseil de sécurité.
La question de l'illégalité de l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza date de 1967, près de 60 ans.
Une résolution du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967, après la Guerre des Six Jours avait adopté la résolution 242 qui requiert :
- selon sa version officielle en français, « le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit » ;
- selon sa version officielle en anglais, « the withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict » ;
- selon ses versions officielles en espagnol, arabe, russe et chinois (autres langues officielles de l'ONU), un texte dont le sens est le même qu'en français.
C’est en s’appuyant sur cette ambiguïté, que, depuis des décennies Israël et ses soutiens américains et britanniques ont justifié la poursuite de l'occupation. On comprend combien l'avis de la CIJ, très clair sur les territoires concernés par l’occupation, peut prendre un poids considérable dans ce débat.
La troisième décision de la justice internationale qui fait de 2024 une année extraordinaire est celle du 26 novembre 2024, lorsque que les trois juges de la Chambre préliminaire I de la CPI ont délivré des mandats d’arrêt à l’unanimité contre Mohammed Deif, chef du Hamas, pour des accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qui, selon le Procureur de la Cour, Karim Khan, auraient été commis dans le cadre de la guerre actuelle contre le Hamas à Gaza.
Elle a également émis des mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans la bande de Gaza. Selon la CPI, les deux responsables israéliens portent chacun la responsabilité pénale des crimes suivants en tant que coauteurs pour avoir commis les actes conjointement avec d’autres : le crime de guerre consistant à faire de la famine une méthode de guerre ; et les crimes contre l’humanité consistant en meurtres, persécutions et autres actes inhumains.
Certes, ces décisions contre des chefs d'états ne sont pas une première absolue. Trois dirigeants en exercice ont été l'objet de mandats d'arrêt depuis la création de la CPI : Omar El-Béchir, Mouammar Kadhafi et Vladimir Poutine.
En 2009, le président soudanais Omar El-Béchir était le premier chef d'État en exercice à être recherché par la CPI ainsi que la première personne à être poursuivie pour génocide. Il était visé par un mandat d'arrêt en raison des milliers de morts, de villages brûlés ainsi que des massacres, des viols, des raids contre les camps de réfugiés au Darfour.
En juin 2011, le colonel Kadhafi a été à son tour la cible d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale. La Cour rendait sa décision en reprochant à Mouammar Kadhafi et à son fils Saïf al-Islam d'avoir organisé la répression contre les opposants au régime et d’avoir commis des crimes contre l'humanité.
Enfin le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale décidait de lancer un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine pour crimes contre l’humanité. Le président russe et sa commissaire aux droits de l'enfant, Mariel Vova, étaient recherchés pour leur responsabilité présumée dans la déportation d'enfants ukrainiens.
Justice pénale internationale : premier bilan
La première réussite de la justice pénale internationale tient indiscutablement à sa progression et à son ancrage dans les relations internationales.
La rapidité avec laquelle ses concepts, son langage et ses outils se sont diffusés dans les sphères juridiques, politiques et médiatiques au cours des deux dernières décennies est remarquable. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la façon dont les victimes et leurs défenseurs, en Syrie, en Birmanie, au Venezuela, en Palestine, en Ukraine et ailleurs, utilisent aujourd’hui le droit pénal international pour demander justice, avec succès ou non d’ailleurs.
Ce développement constitue une véritable révolution, car il vient bousculer les principes de souveraineté des États et d’immunité de leurs dirigeants, qui demeurent profondément ancrés dans les relations internationales. Qui aurait pu imaginer, voilà encore quelques années, que le président en exercice d’un État membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, dirigeant d’une puissance nucléaire serait un jour inquiété par la justice pénale internationale et privé de sa liberté de voyager comme c’est le cas pour Vladimir Poutine depuis mars 2023 (même en exceptant le cas de la Mongolie, lors de la dernière réunion des BRICS) ? De même pour le mandat d’arrêt international transmise par le procureur à la Cour à l’encontre du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, contre un dirigeant qui est le protégé direct des grandes puissances du camp occidental ? Comment la place de ce droit international peut-elle évoluer et comment peut-il devenir un élément essentiel de la transformation des relations internationales ?
Le droit international : élément d’une nouvelle puissance ?
Si l’on veut répondre à cette question, cela suppose de refaire un détour sur les changements du monde depuis 80 ans. C’est la seule manière de faire comprendre l’importance du droit international, de ses organismes, du respect absolu de la Charte des Nations unies, du rôle central de celles-ci dans le monde d’aujourd’hui, pour surmonter l’obstacle des grandes puissances, pour donner sa vraie place à l’humain, à « We, the people ». C’est nécessaire pour obtenir le soutien de l’opinion publique dans sa masse, hors de sa seule partie informée et militante ?
Le cadre de cette réflexion est celle-ci : les grands problèmes posés à nos générations relèvent tous de solutions globales et planétaires.
JAMAIS, les humains n’ont pu dire comme aujourd’hui, nous sommes dans un « même bateau », un « bateau monde » qui peut couler, soit à cause de menaces physiques (liées au réchauffement climatique) ce qui est bien compris dans la jeunesse, soit à cause de menaces militaires (conflit nucléaire ou conflit régional incontrôlable, au Moyen-Orient ou en Asie), ce qui est parfois sous-estimé, sauf, peut-être par ceux qui ont connu les périodes de la Guerre froide.
C’est en s’appuyant sur la perception, peut-être plus répandue aujourd’hui de la globalité des enjeux planétaires climatiques, notamment dans la jeunesse, qu’il nous faut avancer sur la notion de « même bateau » ou « même maison ».
Je préfère, pour ma part, parler de « maison commune » dont nous nous serions les copropriétaires, très inégaux de statut certes. Cette réflexion est inséparable de celle sur la création des Nations unies.
Il nous faut franchir aujourd’hui une étape ! Pourquoi jeter un regard neuf ?
1/ Le nombre des États a quadruplé depuis 1945, la place des pays émergents et de ceux du Global South grandit.
2/ Dans le même temps, s’est développé le système multilatéral onusien : agences, traités.
3/ Nous sommes passés, en quelques décennies, de l’ordre exclusif des États en 1945 à un réseau de forces, mondial complexe, où on trouve à côté de ces États, des entités non – étatiques, forces économiques et ONG.
4/ Dernier élément à ne pas négliger : c’est la révolution dans les moyens d’information avec des technologies qui favorisent l’information et les possibilités d’interventions individuelles.
Il faut réévaluer ce qui s’est passé il y a 80 ans. Oui, il y a des contradictions ! D’une part, la création des Nations unies relève pour une part d’un accord entre les vainqueurs de la Guerre, à travers la réaffirmation de la souveraineté des États et du fonctionnement du Conseil de sécurité, mais, en même temps, cela a abouti à la pose des fondations de notre copropriété commune et à l’établissement d’un « règlement de copropriété », la Charte des Nations unies, avec un « conseil syndical » qu’est le Conseil de sécurité et des commissions de travail, avec toutes les institutions onusiennes.
Quel est le cœur de cette Charte des Nations unies ? Il est de construire la paix, de bannir la force et la guerre des relations internationales. C’est établi dès son préambule et son article 1. Il est fondamental de le comprendre, de l’expliquer et de se battre pour le faire respecter !
Cela concerne aussi bien le droit international lié aux conflits, le droit international humanitaire, le droit relatif lié aux droits humains, que la justice internationale et la justice pénale internationale.
Un droit international en progression
Oui, le droit international est contesté, parfois bafoué mais il est de plus en plus présent et compte de plus en plus.
Un débat existe sur la place du droit international, c’est positif. Certains juristes ou chercheurs estiment que le droit international a échoué face à la puissance des États, qu’en conséquence, la structure qui porte la Charte des Nations unies, l’ONU a également échoué. Donc, selon eux, il n’y aura pas d’avancée sans la reconstruction d’un nouveau système à partir de zéro.
Je ne partage pas cette analyse. Le droit international a avancé, sur le plan pénal, nous avons réussi à imposer une nouvelle structure, la CPI, pour juger les crimes de guerre. Le mandat d’arrêt de la CPI empêche aujourd’hui Poutine de sortir de Russie, demain, elle fera la même chose avec Netanyahou.
La Cour internationale de justice aborde pour la première fois de son histoire des questions politiques sensibles : la menace de génocide à Gaza, l’illégalité de l’occupation israélienne. Ces évolutions tiennent à la fois à la nouvelle place des sociétés civiles dans le monde, et à l’apparition de puissances émergentes et d’un Global South qui refusent les « doubles standard ».
Déjà, il y a trois ans, nous avions vu la portée possible de la justice internationale sur d’autres domaines que la guerre ou la paix.
Ainsi, sur le plan national, « l’Affaire du siècle » a été un tournant dans les actions pour le climat. À la fin des années 2010, quatre organisations d’intérêt général ont assigné l’État français en justice devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques. Le but était de faire reconnaître par les juges l’obligation de l’État d’agir pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, afin de protéger les Français face aux risques induits par les changements climatiques. Le 3 février 2021, la faute de l’État a été établie ; la justice a reconnu aussi sa responsabilité et le préjudice écologique causé par l’inaction climatique de la France.
En ce moment même, la Cour internationale de justice (CIJ) a ouvert depuis hier, ce lundi 2 décembre des audiences visant à définir les obligations juridiques des pays face au changement climatique. Jusqu'au 13 décembre, plus de 100 pays et organisations présenteront des observations sur le sujet, un record.
La République de Vanuatu (223 000 hab, ex Nouvelles-Hébrides), est un des petits États insulaires qui est à l'origine de la demande d'avis consultatif, demande qui a été reprise par l’Assemblée générale de l’ONU, par consensus le 29 mars 2023.
Les deux questions posées sont les suivantes : quelles sont les obligations juridiques internationales des États en matière de protection climatique ? Et quelles conséquences juridiques peuvent encourir les pollueurs, aujourd’hui et demain ?
Les États les plus vulnérables, ceux du Sud global, veulent obtenir une décision qui les renforce lors de futures négociations sur le climat et rééquilibre le rapport de force. Ils espèrent aussi que l’avis juridique de la CIJ offrira une base solide et unifiée aux juges du monde entier saisis de contentieux climatiques.
Ces exemples montrent que le droit international est devenu un élément des solutions pour un monde de paix durable, élément de solution et aussi un outil de cette solution. Agir avec le droit international comme outil n’est pas se lancer dans des batailles de prétoire loin des opinions publiques, mais le moyen de pointer les responsabilités des puissants de ce monde et de contourner les blocages institutionnels qu’ils utilisent, en s’appuyant sur les nouveaux rapports de force possibles dans le monde d’aujourd’hui, y compris sur de nouveaux terrains de lutte.
Il en est ainsi de la fameuse question de la « légitime défense » brandie au-delà de son sens d’origine.
Concernant la question de l’Ukraine, l’obligation, posée par le respect de la Charte des Nations unies, notamment pour les membres du Conseil de sécurité, n’est pas simplement de dire « la Russie ne peut pas et ne doit pas gagner cette guerre » ou la priorité est de « vaincre l’agresseur russe ».
Non, la priorité imposée par le droit international est fondamentalement, aujourd’hui, en Ukraine, d’obtenir un cessez-le-feu, de créer les conditions d’un cadre de discussions diplomatiques conforme à la Charte des Nations unies donc au droit international, et ainsi, de permettre de construire des solutions de compromis dont certaines avaient été esquissées dans les accords de Minsk en 2014.
Plus de deux ans après le début de l’agression russe, il faut appliquer entièrement l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui reconnaît au pays agressé son « droit naturel de légitime défense », mais qui ajoute « jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Ce sont ces initiatives politiques et diplomatiques qui doivent être prises en priorité maintenant.
Or, depuis plus de deux ans, le « bloc occidental » qui s’est reformé, a fait échouer toutes les initiatives diplomatiques pour explorer des issues politiques, qu’elles soient individuelles (le pape François, le turc Recip Erdogan) ou étatiques (Brésil, Afrique du sud). Mieux, les 15 et 16 juin 2024, la Suisse a organisé une conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine, qui s’est tenue sans la présence de la Russie. « Malgré certaines avancées, la stratégie ukrainienne de ralliement des pays du Sud global n’a pas fonctionné, en témoigne le fait qu’aucun membre des BRICS+ n’ait signé le communiqué final », estime le chercheur de l’IRIS, Jean de Gliniasty. Un des seuls points positifs est le fait que le président ukrainien a ouvert, pour la première fois, la porte à la participation d’une délégation russe à un autre futur sommet pour la paix.
Aujourd’hui, l’évolution de la situation sur le terrain, les incertitudes liées à la future politique américaine, font que des choses bougent, que l’éventualité d’un armistice est évoquée, que des compromis territoriaux provisoire soient évoqués. Mais que de temps perdu, de morts inutiles gaspillées !
Au-delà des conflits et des situations d’urgence, considérons des questions plus larges comme celles liées à la réforme de l’ONU.
Nous devons réfléchir à l’utilisation nouvelle du droit international et des décisions de ses organes comme la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale pour faire évoluer le fonctionnement du Conseil de sécurité, trouver des issues aux blocages et à l’impasse provoquée par l’utilisation du « droit de veto » par les membres permanents du Conseil de sécurité.
Plusieurs initiatives sont en cours pour trouver des formes d’auto-limitation du droit de veto au Conseil de sécurité. Ainsi, 106 États soutiennent actuellement une initiative d’encadrement du droit de véto qui prévoit une suspension volontaire et collective du recours au veto en cas d’atrocités de masse. L'Assemblée générale des Nations unies a adopté aussi le 26 avril 2022, une résolution permettant de convoquer automatiquement l'Assemblée générale si un membre permanent oppose son veto à une résolution du Conseil de sécurité.
Dans cet esprit, comment arriver à imposer le respect des décisions de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale, en obtenant qu’il y ait interdiction du veto par un membre permanent, après une décision de la CIJ ? On peut estimer qu’une résolution de l’Assemblée générale soit prise en ce sens, qu’il serait compliqué ensuite aux membres permanents du Conseil de ne pas respecter.
L’étape suivante pourrait être d’obtenir que les membres du Conseil de sécurité soient obligés de faire respecter et appliquer les décisions de la CIJ et de la CPI, et, pour cela, qu’ils placent systématiquement, tout arrêt de la CIJ ou de la CPI, sous l’égide du chapitre VII de la Charte, qui permet si nécessaire l’utilisation de la contrainte, voire de la force pour son application.
Vu sous cet angle, le droit international n’est pas uniquement une affaire de spécialistes, de juristes. Il devient un enjeu politique, un outil politique au service des gouvernements et au service des peuples, des opinions publiques.
CONCLUSION
Sur les champs de la guerre et de la paix, l’application du droit international s’oppose directement aux politiques de domination des grandes puissances.
Or, la domination étatique des grandes puissances recouvre très largement, non seulement des politiques de domination géopolitiques, stratégiques, mais plus largement des politiques de dominations économiques et financières, maîtrise des ressources énergétiques, des métaux rares, des voies de communication, etc.
Nos abordons des questions qui touchent aux confrontations autour de la transformation de notre monde, de l'affaiblissement des dominations mondiales, d’une véritable "révolution" des rapports planétaires ?
Ce n’est pas un hasard, si face aux institutions multilatérales onusiennes, qui portent le droit international, on assiste dans ces deux dernières décennies, à des tentatives de redirection des décisions internationales vers des institutions comme le G7 ou le G20, vers des « groupes de contacts », qui fonctionnent hors des règlent admises.
J’ai parlé dans mon résumé de présentation de la dichotomie entre les atteintes qui perdurent contre le droit international et sa présence grandissante dans les problèmes internationaux. Il faut ouvrir le débat.
Cette dichotomie peut-elle perdurer ou le droit international peut-il devenir lui-même un instrument de puissance au service des peuples et des pays émergents,en affaiblissant durablement la puissance brute des États dominants ?
Pour condenser mon opinion, je dirai que le droit international n’est pas condamné à l’impuissance face à la puissance, il est en train de devenir instrument, au travers de ces exemples, d’une nouvelle puissance, et provoquer ainsi l’impuissance de la puissance étatique d’aujourd’hui.
Le lien vers la video de cette conférence :
https://www.youtube.com/watch?v=gdzOoQP6Y3Y
NOTES
i - Directeur de l’IDRP (Institut de documentation et de recherches sur la paix)
ii - Daniel Durand - Editions Edilivre - 2018
iii - "La paix, c'est mon droit !" 21e siècle, vers la guerre ou vers la paix ? - Daniel Durand - Éditeur : Books on Demand - Date de parution : 31.07.2023
iv - Daniel DURAND, « Le droit humain à la paix, étape décisive d … - YouTube · Espaces Marx Aquitaine-Bordeaux-Gironde - 14 déc. 2023
v - https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/10/28/monique-chemillier-gendreau-lechec-du-droit-international-a-devenir-universel-et-ses-raisons/
vi - https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/conflits-armes-limpact-croissant-du-droit-international/
vii - https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/294485-justice-penale-internationale-quel-bilan-par-johann-soufi
viii - https://www.kaakook.fr/citation-34984
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