Beaucoup de spécialistes, de responsables politiques sont préoccupés et même inquiets par la remise en cause du Traité FNI par l'administration Trump, un accord historique conclu en 1987 entre les États-Unis et l’Union soviétique. Cet accord visait l’élimination de tous leurs missiles balistiques et de croisière, tant nucléaires que conventionnels, ayant une portée de 500 à 5500 kilomètres, un accord qui prévoit aussi un vaste régime d’inspection sur place pour vérifier sa mise en œuvre.
Ce traité INF a été signé en 1987 par Reagan et Gorbatchev en pleine guerre froide. Il a permis de surmonter la "crise des euromissiles", ces armes nucléaires qui menaçaient tous les pays européens, de gérer les évolutions de 1989 en Allemagne, la chute du mur de Berlin, les changements de régime dans l'ex-Union soviétique sans effusion de sang.
Le démantèlement du traité INF aujourd'hui remet en cause une partie de la stabilité en Europe et à ce titre, il est lourd de futures menaces pour la paix sur le continent.
Mais, si l'on essaie d'avoir un certain recul sur ces trente dernières années, on peut estimer aussi qu'il est la fin logique d'un processus où les USA mais aussi l'Union européenne ont été particulièrement irresponsables.
Après 1989, il existait une opportunité formidable de prolonger et consolider le nouveau climat de détente et de confiance en Europe, de construire une nouvelle architecture de sécurité entre tous les pays européens, au delà de l'OTAN et du Pacte de Varsovie.
Mais tandis que le Pacte de Varsovie, ex-alliance militaire entre les pays de l'orbite soviétique, se dissolvait, les dirigeants de l'UE et des UA ont préféré mener une politique de revanche sur l'URSS puis sur la Russie en élargissant non seulement l'Union européenne vers l'Est, mais surtout en l'accompagnant de l'adhésion quasi systématique des pays nouveaux entrants à l'OTAN, donc en construisant un déséquilibre stratégique et militaire contre la Russie.
Cette expansion de l'OTAN, alliance militaire créée en 1949, donc dernier vestige de la guerre froide, s'est accompagnée de l'affaiblissement ou de la marginalisation de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la paix en Europe), organisation qui incluait tous les pays d'Europe y compris la Russie, qui avait été très utile dans la reconstruction de la paix post-conflit en Bosnie et dans les pays du Caucase, et qui aurait pu être la matrice d'une nouvelle architecture de sécurité, axée sur la gestion des conflits.
Ces évolutions historiques de ces trois décennies permettent d'affirmer qu'aujourd'hui, avec le démantèlement du traité INF, suivant la crise ukrainienne, c'est la suite et la fin du détricotage d'une coopération équilibrée, créatrice de confiance en Europe, à laquelle nous assistons.
Si nous voulons reconstruire une paix solide en Europe, il faut donc remettre sur pied tout l'ouvrage, reprendre le dialogue inter-européen sur des bases nouvelles, incluant tous les problèmes.
La politique de Donald Trump n'a fait qu'aggraver une situation bien dégradée. Multilatéralisme ou unilatéralisme de Trump ou de Poutine, basé sur les rapports de force brutaux, l'alternative est claire et demande des réactions énergiques. Le président Macron a affirmé à plusieurs reprises son engagement pour le multilatéralisme, y compris à la tribune de l'ONU en septembre, Mme Merkel vient également de l'exprimer clairement la semaine dernière, à la Conférence sur la sécurité en Europe à Munich. Alors, le temps semble venu d'initiatives politiques fortes et pas seulement de déclarations.
On ne peut d'ailleurs que regretter et condamner vigoureusement l'énorme faute politique commis par les principaux pays européens, la France en tête, en soutenant une politique de force au Venezuela, donc en suivant la politique agressive états-unième au lieu de jouer un rôle de facilitateur politique pour trouver et permettre une issue politique, pacifique à la grave crise qui secoue ce pays et pèse sur sa population.
Par leur position interventioniste, ces mêmes dirigeants européens minent leurs déclarations sur la priorité au multilatéralisme dans le monde et s'affaiblissent par rapport aux Trump et Poutine.
En Europe, il est donc temps de renouer le dialogue au niveau nécessaire. L'idée a été émise par plusieurs personnalités ou organisations de travailler à la tenue d'une grande conférence européenne, abordant tous les problèmes de sécurité et de démilitarisation du continent, comme l'avait permis la Conférence d'Helsinki en 1975, qui renforce les coopérations entre tous les pays européens, qui limite les présences militaires (tant OTAN que russe) en Europe, qui revitalise l'OSCE comme organe de coopération civilo-militaire.
Le président Macron doit prendre une initiative de ce type : l'urgence est au dialogue et non à pousser les feux pour créer un nouveau bloc militaire basé sur une défense, voire une armée européenne dont les bases, les justifications sont opaques et n'ont pas été débattues dans les opinions publiques. Aujourd'hui, dans l'état actuel des affirmations dans les états-majors militaires, l'idée de défense européenne repose uniquement sur l'illusion de la "multipolarité", c'est-à-dire la constitution de "pôles de puissance" ou de puissances rivales dans le monde. Au contraire de ces dangereuses illusions, 100 ans après la fin de la première guerre mondiale, il faut en tirer une fois pour toutes les leçons, et au premier plan d'entre elles, la faillite du jeu des puissances, des alliances et des rivalités.
Dans un prochain article, j'aborderai les questions que pose l'avenir de la sécurité et de la paix en Europe.
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