À une semaine d’intervalle, les 19 et 26 septembre, le président Emmanuel Macron a exprimé sa vision générale du monde, d’abord, à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies, puis sur l’Europe, à la Sorbonne, à Paris. Ce qui frappe à la lecture des deux textes, c’est la juxtaposition d’idées généreuses, alliée à un manque de cohérence dans les propositions par rapport aux principes affirmés.
Rendons-lui justice, il a réaffirmé une constante de la diplomatie française depuis trente ans : la primauté au multilatéralisme dans les relations internationales.
Ce rappel était particulièrement utile après le discours de Donald Trump, glorifiant le « chacun pour soi ». Emmanuel Macron a redit « [..] aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin du multilatéralisme, non pas parce que ce serait un mot confortable, non pas parce que ce serait en quelque sorte un refuge pour gens intelligents. Parce que le multilatéralisme, c’est la règle du droit, c’est l’échange entre les peuples, c’est l’égalité de chacune et chacun d’entre nous, c’est ce qui permet de construire la paix et de relever chacun de nos défis ».
Aujourd’hui, souvent, l’action des Nations unies, ses principes mêmes, sont parfois brocardés, non seulement par des chefs d’État, mégalomanes comme Trump ou Kim-Jung-un, mais parfois par des « spécialistes » qui minimisent l’événement considérable que représente, en permanence, l’exploit de faire coexister, même si c’est parfois cahin-caha, tous les pays de notre planète !
L’affirmation du président Macron estimant que « l’Organisation des Nations unies a toute légitimité pour agir et préserver les équilibres du monde » est donc fondamentale. On s’attendait donc à en trouver un écho, dans son discours sur l’Europe, une semaine plus tard, à Paris !
N’avait-il pas amorcé une transition possible vers son discours européen en ajoutant à l’ONU que « nous avons besoin d’une articulation dans la gestion des crises, avec l’Union européenne, l’Union africaine, les organisations sous-régionales qui sont des acteurs essentiels » ?
Or, rien dans son intervention à la Sorbonne sur cette articulation ONU/UE, aucune proposition novatrice sur la relation Europe / ONU !
Le président français a certes rappelé que « nous sommes les héritiers de deux déflagrations qui auraient dû jeter la nuit sur notre Europe, celles du siècle passé, des deux guerres mondiales qui ont décimé l’Europe et auraient pu nous engloutir. [...] L’idée a triomphé des ruines. Le désir de fraternité a été plus fort que la vengeance et la haine. Ce fut la lucidité des pères fondateurs de transformer ce combat séculaire pour l’hégémonie européenne en coopérations fraternelles ou en rivalités pacifiques ».
Mais, il n’a parlé que de l’avenir d’une Europe qui se regarderait le nombril, en lui assumant comme seul destin, d’assurer notre existence, à nous Européens et à nos valeurs, forcément « supérieures » à celles du reste de la planète puisque « cet équilibre de valeur, ce rapport à la liberté, aux Droits de l’Homme, à la justice est inédit sur la Planète » ! Finie « l’égalité de chacune et chacun d’entre nous », revoici l’arrogance de la supériorité européenne !
Notre avenir se résumerait à « notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts ». Au lieu de mettre l’accent sur le soutien à l’ONU qui a « toute légitimité pour agir et préserver les équilibres du monde », l’ambition se résume au vieux discours sur la défense où « notre objectif doit être la capacité d’action autonome de l’Europe, en complément de l’OTAN ».
Ces deux discours risquent de marquer un nouveau rendez-vous raté avec l’Histoire. Pourtant, aujourd'hui, avec 27 pays membres, l'Union européenne est le plus gros contributeur financier des Nations unies (37 %) devant les USA, n’en déplaise à M. Trump ! À l'heure de développement de la mondialisation, l'Europe est bien une clé de l'avenir de l'ONU et du multilatéralisme.
L'Union Européenne est déjà un acteur majeur au service de la paix aujourd'hui : sur le contrôle du commerce des armes légères, comme principal contributeur de l'ONU en matière de maintien de la paix, en particulier pour les Balkans et le Caucase, comme principal soutien financier et économique à l'autorité palestinienne. Elle pourrait aussi développer un rôle pilote en termes d’éducation à la paix, à la tolérance, aux droits humains et au refus de la violence, en profitant mieux de la chance d’avoir le siège de l’UNESCO sur le sol européen, à Paris. Emmanuel Macron a rappelé le rôle essentiel de celle-ci dans son discours de New-York. Elle est un frein, par contre, sur le plan du désarmement nucléaire, à cause de la Grande-Bretagne et de la France. Cette dernière n’a pas encore fait de geste positif pour soutenir le nouveau Traité international d’interdiction des armes nucléaires.
Demain, sur le plan militaire, l'U.E. pourrait fournir des matériels et moyens humains « d'intelligence », de matériels de transports de troupes, d’expertise d'observateurs et de contrôleurs ou de médiateurs aux opérations décidées par le Conseil de sécurité. Ce choix clair d'un partenariat renforcé avec les Nations-Unies pour le maintien de la paix, donnerait un sens nouveau à la coopération européenne en matière d'armements. Les programmes de l'Agence européenne d'armements pourraient s’inscrire dans cette finalité, à condition que l’Agence devienne un vrai « pôle public européen de l'armement », pour éviter toute « marchandisation » des armements.
La vision d'une « Europe, puissance vertueuse » pour la paix, le désarmement et le soutien aux Nations-Unies, n'est sans doute pas majoritaire encore au sein des gouvernements européens, mais elle pourrait le devenir dans les opinions publiques, si des volontés politiques se dégageaient au sein des principales forces de la société civile et du Parlement européen. Une Europe « puissance vertueuse » ne serait pas une Europe impuissante, elle disposerait d'alliés nombreux dans le monde parmi toutes les puissances émergentes. Partenaire privilégiée des Nations unies dans tous les domaines, du civilo-militaire, au renforcement du droit international et d'une nouvelle culture de paix, l'Union européenne serait une puissance d'un type nouveau mais une puissance respectée.
Voilà les pistes nouvelles, originales et fortes qu’on aurait pu attendre d’un nouveau Président français. Au lieu de cela, Emmanuel Macron a dit : « Au début de la prochaine décennie, l’Europe devra ainsi être dotée d’une Force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir ». Une telle orientation n’a pas de sens si elle s’inscrit simplement dans la construction d’un nouveau « pôle de puissance » régional. Nous commémorerons l’année prochaine, la fin de la guerre 1914-1918, conflit sanglant, conséquence de la rivalité des blocs militaires de l’époque.
L’enjeu pour l’Europe et le monde est de continuer à unifier et dépasser les clivages, pour renforcer la lutte pour un monde de paix et de liberté, ainsi que pour construire une planète durable et vivable pour les humains.
Emmanuel Macron veut-il vraiment qu’on accorde crédit à cette partie de sa déclaration onusienne : « Oui, aujourd’hui encore plus qu’hier, nos biens communs, c’est aussi notre intérêt, notre sécurité, c’est aussi leur sécurité. Il n’y aurait pas d’un côté l’irénisme de ceux qui croient à la règle de droit et au multilatéralisme et, de l’autre côté, le pragmatisme de certains unilatéraux. C’est faux » ?
Alors, il faut qu’il clarifie vite ses positions pour l’Europe et la France dans la voie du soutien résolu aux Nations unies et à la démilitarisation des relations internationales, sinon beaucoup estimeront qu’il s’agit seulement de discours creux de propagande et ils auront raison. M. Macron, just do it !
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