La France a donc un nouveau Ministre des Affaires étrangères avec Alain Juppé, après l'éphémère passage de Michèle Alliot-Marie. Celui-ci a la lourde charge de restaurer la confiance envers la diplomatie française, tant de la part de l'opinion publique française que de celle de beaucoup de peuples de notre planète et même de la part des diplomates français eux-mêmes.
Le mois dernier, un mystérieux "groupe Marly", regroupant d'anciens et d'actuels acteurs du Quai d'Orsay, a ainsi ouvertement critiqué, dans une tribune au Monde, la gestion amateur et impulsive de la politique étrangère française. Il est vrai que le Quai d'Orsay a frôlé l'incompétence avec M. Douste-Blazy, supporté l'action brouillonne à la limite de l'amateurisme de M. Kouchner, et enfin été "achevé" par la désinvolture de Mme Alliot-Marie.
"Nous devons retrouver une politique étrangère fondée sur la cohérence, l'efficacité et la discrétion.", ont exigé les signataires du groupe Marly. Alain Juppé avait formulé la même requête en juillet 2010 dans un communiqué, rédigé avec un autre ancien ministre des Affaires étrangères, le socialiste Hubert Védrine. Le ministre nouvellement nommé demandera-t-il que les budgets de plus en plus restreints du Quai d'Orsay soient revus à la hausse et que le gouvernement et surtout la Présidence de la République développent plus de concertation et de dialogue avec le corps diplomatique ?
En 2008, il avait été chargé par Bernard Kouchner d'animer une commission et de remettre un rapport sur "la politique étrangère et européenne de la France 2008-2020". Le texte remis visait à "clarifier les axes majeurs de la diplomatie française, tout en préconisant une meilleure efficacité des services extérieurs de l'Etat". Les résultats n'ont pas été convaincants pour le moins.
Dans son discours d'installation du 1er mars, Alain Juppé n'a pas développé de "vision" enthousiasmante pour la diplomatie française. Les priorités tracées sont maigres et conjoncturelles : "refonder l’Union pour la Méditerranée" et "anticiper l’essor de l’Afrique au XXIème siècle", développer l’intégration, non seulement économique et financière, mais aussi dans le domaine de la politique de défense et de sécurité de l’Union européenne, "resserrer les partenariats stratégiques que nous avons développés avec les nouvelles puissances émergentes sur la planète". C'était un discours "a minima" écrit dans la hâte d'un remaniement ministériel.
Est-ce cette précipitation qui explique qu'aucune vision multilatérale forte n'a été développée, que les perspectives proposées soient uniquement d'ordre bilatéral, vers l'Afrique ou les pays émergents, qu'on n'y trouve rien sur le renforcement du multilatéralisme et de l'ONU, rien sur le renforcement des processus de désarmement ?
Dans ces dernières années de retour vers le pouvoir, M. Juppé a multiplié les déclarations si possibles "bipartisanes" (au sens donné à ce type de position aux États-Unis), avec par exemple, le socialiste Michel Rocard, le général Norlain sur le désarmement nucléaire, avec Hubert Védrine sur la diplomatie pour apparaître compétent et ouvert. Était-ce pour développer une vraie "vision" d'homme d'État à la manière de M. de Villepin ou développer une simple posture de carrière ? Les mois prochains apporteront peut-être une réponse.
M. Juppé est, en effet, face à un certain nombre de défis à venir. Quelles initiatives va-t-il prendre en direction de l'ONU et de l'Union africaine pour éviter un massacre en Lybie par M. Khadafi et aussi en Côte d'Ivoire par M. Gbagbo, dont les médias ne se soucient guère actuellement ? Son action en 1994 au Rwanda, sous MM Balladur et Mitterrand, est aujourd'hui largement controversée, comme l'a rappelé dernièrement le Collectif des victimes du génocide.
Quelles actions va-t-il entreprendre pour la mise en oeuvre de toutes les décisions de la dernière Conférence d'examen du TNP de mai 2010 pour renforcer le désarmement nucléaire, créer une zone dénucléarisée au Proche-Orient ?
En octobre 2009, il s'était prononcé avec MM Norlain, Richard et Rocard pour "des initiatives urgentes et beaucoup plus radicales des cinq puissances nucléaires reconnues par le traité de 1968. Elles doivent engager un processus conduisant de manière planifiée au désarmement complet, y associer pleinement les trois puissances nucléaires de fait, écarter tout projet de développement d'arme nouvelle, prendre plus d'initiatives et de risques politiques pour surmonter les crises régionales majeures." Ces personnalités émettaient "le voeu que la France affirme résolument son engagement pour le succès de ce processus de désarmement et sa résolution d'en tirer les conséquences le moment venu quant à ses propres capacités"...
Il aura une première occasion de montrer sa fidélité à ses principes lors de la réunion des cinq puissances nucléaires que la France doit organiser à Paris en juin ou septembre pour justement examiner l'application des décisions du TNP...
Enfin, M. Juppé sera très attendu sur son engagements dans la mise en oeuvre des grandes décisions de l'ONU : pour la paix au Proche-Orient et la reconnaissance d'un État palestinien (M. Juppé n'avait-il pas participé au processus des accords d'Oslo en 1993 ?) et pour la réussite des Objectifs du Millénaire des Nations-unies pour l'éradication de la pauvreté, qui est une des conditions-clés de toute politique de soutien au développement du continent africain. M. Sarkozy semble vouloir utiliser, en 2011, la présidence française du G20 et du G8 pour développer un "contournement" de l'ONU et du Conseil de sécurité. M. Juppé s'engouffrera-t-il dans cette voie négative ou saura-t-il temporiser et freiner M. Sarkozy ?
Rarement, la nécessité de mettre en concordance les paroles et l'action politique n'aura été aussi évidente...
7 mars 2011
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire