Une des dimensions les plus méconnues de l'action pour une culture de la paix est celle visant à "soutenir la communication participative et la libre circulation de l’information et des connaissances"(point 7 du Programme d'action pour une Culture de la paix)). Il y a un accord général sur les grands principes : la liberté de la presse et la liberté de l’information et de la communication, les mesures concernant le problème de la violence dans les médias, y compris internet, le rôle que devraient jouer ceux-ci dans la promotion d’une culture de la paix. Mais la réflexion n'est pas toujours poussée sur les outils (et les démarches) permettant une utilisation démocrative et participative de l'information. On reconnaît aujourd'hui l'influence grandissante des réseaux sociaux, du genre Facebook, des blogs pour répandre des idées progressistes même dans des pays à la démocratie rétrécie comme en Tunisie ou en Égypte. L'influence d'internet avait commencé d'être relevée dans le développement du mouvement anti-guerre d'Irak aux USA en 2002-2003. L'influence des réseaux sociaux a les limites de leur caractère mercantile : pillage des données personnelles au bénéfice des sollicitations publicitaires notamment... Par contre, on parle peu d'un autre grand acteur potentiel de démocratisation et de partage qui est constitué par le mouvement des "logiciels libres" (les logiciels sont les programmes qui font fonctionner vos ordinateurs).
Qu'est-ce que c'est ? Pour comprendre la situation d'aujourd'hui : imaginons un monde où les tartes aux fruits ne sont disponibles que toutes prêtes et payantes ; où il n'y a pas de recettes de tarte aux fruits disponibles donc impossible d'en faire à la maison ; où personne ne peut ou souhaite obtenir les recettes. Ce monde existe : c'est le monde du logiciel propriétaire depuis le début des années 80, tel que le représente Microsoft avec Windows, Internet Explorer, Word, etc...
Un autre monde existe pourtant et se développe : c'est celui des tarte aux fruits avec la recette disponible, et le droit de partager gratuitement sa tarte avec son voisin. C'est le monde des logiciels libres. Le fondement même du logiciel libre repose sur un esprit de coopération entre utilisateurs, de partage du savoir, pour enrichir et faire progresser le logiciel. Celui-ci permet ainsi une réelle appropriation citoyenne de l'informatique, rend les utilisateurs autonomes, indépendants et les éloigne des impasses technologiques, alors qu'aucun éditeur propriétaire n'y a intérêt.
Le monde du logiciel libre et le monde associatif ainsi que la communauté qui promeut une culture de paix ont de nombreuses valeurs communes (partage, volontariat, bénévolat) et notamment une certaine éthique du partage de la connaissance. Ces valeurs sont bien celles de "la communication participative et de la libre circulation de l’information et des connaissances" cité plus haut. De plus, utiliser des Logiciels Libres est une démarche éthique sous l'angle de la volonté d'utiliser des logiciels réalisés avec l'objectif de créer un bien commun dans l'intérêt général, et non pas des logiciels créés pour servir des intérêts privés.
Dans les zones en reconstruction, comme l’Afghanistan ou l’Irak, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) forme les fonctionnaires locaux aux logiciels libres et à Linux. Les logiciels libres stimulent des secteurs pour lesquels il n’y a pas d’argent mais qui sont essentiels pour les pays en voie de développement : administration publique, éducation.. Au delà de l'aspect financier, c'est une éthique du partage de la connaissance qui est en jeu.
De plus, la démarche d'engagement collectif au service de l'amélioration des logiciels, place les individus face à leurs responsabilités. Chacun est garant de la réussite de la communauté libre et responsable de ses échecs. Mais paradoxalement, alors que le monde du logiciel libre et le monde associatif ont de nombreuses valeurs communes, les logiciels libres y sont peu diffusés, par méconnaissance, craintes ou ... manque de temps.
Alors qu'ajourd'hui, pour prendre des comparaisons simplistes, une masse de consommateurs fait l'effort de se tourner vers des produits sans OGM, issus si possible du commerce équitable ou de circuits courts (AMAP), voire de l'agriculture biologique, il n'en est pas de même dans l'approche de l'utilisation de l'informatique. Il n'est pourtant pas plus difficile pour un utilisateur de Windows de commencer par remplacer Internet Explorer par Firefox, Outlook express par Thunderbird, Word et Excel par OpenOffice avec des résultats équivalents, si ce n'est supérieurs, que de choisir un produit issu du commerce équitable, et, de plus, l'alternative est gratuite au lieu d'être payante ! Et l'étape suivante, le remplacement de Windows par Linux devient de plus en plus aisé (voir le site de l'APRIL).
Comme on imagine de plus en plus mal un militant de l'environnement consommer de la "mal-bouffe", on devrait ne plus voir aussi fréquemment un militant pour un autre monde de paix et de solidarité travailler avec des outils informatiques fermés, "propriétaires" alors que les alternatives participatives existent.
La problématique de l'adéquation entre une information participative et la nature des outils pour la développer, entre les buts affichés et les engagements personnels des individus sont au coeur du débat sur la signification profonde d'une culture de la paix qui marrie à la fois engagement collectif et individuel.
Nous terminerons cette série sur la Culture de paix dans un prochain article sur les rapports culture de paix et mouvements pour la paix.
7 février 2010
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour cet article très clair et très concis, comme il est malheureusement encore nécessaire d'en diffuser.
Un petit détail, pour préciser la nécessité d'alternative : l'utilisation de systèmes de réseaux sociaux décentralisés (Jappix, Movim, Diaspora), en corrélation avec un système de messagerie instantanée Libre, décentralisé et sécurisé qu'est Jabber.
Librement votre
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