Deux semaines après l'adoption par consensus le 28 mai dernier d'un document final à la Conférence d'examen du TNP, nous pouvons continuer à tirer les enseignements de cet événement, même si le document, dans sa version officielle, n'est pas encore publié.
Le document final comporte deux parties : la première partie, "Examen de l'application du Traité", est transmise sous la seule responsabilité du Président de la Conférence, M. Libran Cabactulan des Philippines. Elle est, comme il l'écrit, "un résumé et un reflet de sa connaissance de ce qui est ressorti de la Conférence et de l'ensemble des points de vue exprimés dans les débats". C'est une évaluation de la mise en œuvre du Traité au cours des cinq dernières années, article par article.
La seconde partie, intitulée "Conclusions et recommandations d'action pour les actions à venir" comprend 24 actions relatives au désarmement nucléaire, (armes nucléaires, assurances de sécurité, essais nucléaires, matières fissiles, autres mesures) ; 24 actions relatives à la non-prolifération nucléaire (rôle de l'Agence internationale de l’énergie atomique, importance du Protocole additionnel, respect des obligations de non-prolifération) ; 18 action concernant les usages pacifiques de l’énergie nucléaire (droit à l'accès à l'énergie nucléaire suivant l'article IV, renforcement des contrôles sur les exportations de technologies). Enfin, un texte spécifique concerne le Moyen-Orient, en particulier la mise en œuvre de la résolution de 1995 sur l'établissement d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient.
Ce dernier texte sur le Moyen-Orient a dominé l'arrière-plan de la Conférence et a pesé sur son issue positive alors que la partie consacrée au désarmement nucléaire dans le texte final est plus faible et ne reflète pas les divergences profondes, voire les affrontements qui se sont déroulés. Si tous les points de friction sur le désarmement ont été "rabotés" et ramenés au niveau du texte de la Conférence de 2000, il faut noter quelques originalités qui font que cette Conférence 2010 sera considérée comme importante malgré tout. Je pense que le premier fait à retenir est qu'une majorité de pays a fait référence pour la première fois de l'hstoire du TNP dans leurs interventions, et même dans leurs réflexions ou stratégies, à une Convention d'abolition des armes nucléaires.
Le second élément de réflexion est que les pays nucléaires ont bataillé dur pour édulcorer le texte dans sa partie désarmement et qu'ils ont réussi en partie leur objectif. Les compromis qui se sont faits l'ont été de plusieurs manières. Certains l'ont été en exprimant en terme neutre de constations de propositions : il en est ainsi pour une Convention d'abolition (I-B-iiii) : "La conférence NOTE la proposition en cinq points du Secrétaire Général des Nations unies qui propose inter alia d'examiner des négociations sur une convention sur les armes nucléaires ou un accord sur un ensemble d'instruments juridiques séparés se renforçant mutuellement, et basés sur un système de vérification renforcé". Symétriquement, la question controversée de la généralisation du Protocole additionnel de l'AIEA s'est traduite par cette formule indirecte (II- Action 28) : "La Conférence ENCOURAGE toutes les parties qui ne l'ont pas encore fait à conclure et à faire entrer en force les protocoles aussi vite que possible...". D'autres ont été obtenus en se référant aux déclarations d'Obama à Prague déjà validées par le Conseil de sécurité en septembre 2009, ou en prenant appui sur l'engagement "sans équivoque" accepté par les puissances nucléaires en l'an 2000. La déclaration contient également de fortes références au CTBT et à la nécessité de sa mise en oeuvre, contrairement à 2000. Par contre, les références au Traité d'interdiction des matières fissiles ("cut-off") sont moins pressantes du fait de l'opposition du Pakistan (et de la Chine), et des divergences sur la prise en compte ou non des stocks existants.
L'adoption d'un document final, même non entièrement satisfaisant, est en soi un succès politique, un échec aurait avantagé ceux qui ne veulent pas d'un monde dénucléarisé. Un élément décisif a été constitué par le fait que le président Obama avait besoin d'un succès lui permettant la ratification des accords SALT ainsi qu'une éventuelle ratification du CTBT. S'il n'avait pu obtenir de texte final, il aurait été en difficulté pour poursuivre sa politique de détente militaire et de passage d'une politique de domination par la force comme l'exerçait G. Bush à une politique de domination plus politique (la "puissance douce"). De nombreux États étaient conscients de cet enjeu car ils soutiennent ce nouveau cours de la politique US et ont fait des efforts pour aider aux compromis.
Même si les projecteurs de l'actualité sont braqués aujourd'hui sur le Moyen-Orient, l'histoire retiendra sans doute que cette Conférence a mis en évidence une fracture profonde dans la communauté internationale sur deux problèmes centraux : le rôle des armes nucléaires et le niveau des garanties qui doit les accompagner (c'est la question de l'universalisation du Protocole additionnel de l'AIEA), la place d'un processus multilatéral pour éliminer les armes nucléaires (c'est le principe d'une Convention d'abolition). Un des enseignements majeurs aura bien été l'incapacité des puissances nucléaires à empêcher l'émergence de la notion de Convention d'abolition même s'ils ont réussi à limiter les autres engagements de désarmement au niveau de ceux de la Conférence de 2000. Certes, la référence à la Convention dans le texte est faible MAIS elle a une double importance : elle installe le concept de Convention dans le discours officiel du TNP et donc elle enlève la fausse excuse à certains gouvernements disant, "si on discute de la Convention, on sort du TNP et on risque de l'affaiblir" : parler de la Convention aujours'hui, c'est parler aussi du TNP ! En même temps, il est clair aujourd'hui que le débat sur une Convention d'élimination est vital, pas seulement pour le désarmement nucléaire et l'application de l'article VI, mais parce que c'est la condition pour renforcer les garanties de vérification comme les protocoles additionnels et pour aller à une sécurité nucléaire véritable car elle inclurait forcément ces dimensions.
Cela signifie que cela permettrait sans doute d'aborder de manière positive et créative cette question qui reste toujours en suspens, vingt ans après la fin de la Guerre froide, qui est celle de construire de nouvelles relations internationales correspondants réellement à ce monde post-Guerre froide, un nouveau concept global liant meilleure sécurité collective ET abolition des armes nucléaires.
Ce serait le moyen de surmonter l'opposition artificielle des discours : "éliminons d'abord et la sécurité collective s'améliorera" d'un côté et "améliorons la sécurité collective et nous éliminerons ensuite" de l'autre. Il y a là, certainement, encore matière à réfléchir et échanger, tant au sein des ONGs et des chercheurs qu'au sein des diplomates pour approfondir tout ce que peut apporter une négociation élargie d'une Convention d'abolition des armes nucléaires.
11 juin 2010
Le document final comporte deux parties : la première partie, "Examen de l'application du Traité", est transmise sous la seule responsabilité du Président de la Conférence, M. Libran Cabactulan des Philippines. Elle est, comme il l'écrit, "un résumé et un reflet de sa connaissance de ce qui est ressorti de la Conférence et de l'ensemble des points de vue exprimés dans les débats". C'est une évaluation de la mise en œuvre du Traité au cours des cinq dernières années, article par article.
La seconde partie, intitulée "Conclusions et recommandations d'action pour les actions à venir" comprend 24 actions relatives au désarmement nucléaire, (armes nucléaires, assurances de sécurité, essais nucléaires, matières fissiles, autres mesures) ; 24 actions relatives à la non-prolifération nucléaire (rôle de l'Agence internationale de l’énergie atomique, importance du Protocole additionnel, respect des obligations de non-prolifération) ; 18 action concernant les usages pacifiques de l’énergie nucléaire (droit à l'accès à l'énergie nucléaire suivant l'article IV, renforcement des contrôles sur les exportations de technologies). Enfin, un texte spécifique concerne le Moyen-Orient, en particulier la mise en œuvre de la résolution de 1995 sur l'établissement d'une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient.
Ce dernier texte sur le Moyen-Orient a dominé l'arrière-plan de la Conférence et a pesé sur son issue positive alors que la partie consacrée au désarmement nucléaire dans le texte final est plus faible et ne reflète pas les divergences profondes, voire les affrontements qui se sont déroulés. Si tous les points de friction sur le désarmement ont été "rabotés" et ramenés au niveau du texte de la Conférence de 2000, il faut noter quelques originalités qui font que cette Conférence 2010 sera considérée comme importante malgré tout. Je pense que le premier fait à retenir est qu'une majorité de pays a fait référence pour la première fois de l'hstoire du TNP dans leurs interventions, et même dans leurs réflexions ou stratégies, à une Convention d'abolition des armes nucléaires.
Le second élément de réflexion est que les pays nucléaires ont bataillé dur pour édulcorer le texte dans sa partie désarmement et qu'ils ont réussi en partie leur objectif. Les compromis qui se sont faits l'ont été de plusieurs manières. Certains l'ont été en exprimant en terme neutre de constations de propositions : il en est ainsi pour une Convention d'abolition (I-B-iiii) : "La conférence NOTE la proposition en cinq points du Secrétaire Général des Nations unies qui propose inter alia d'examiner des négociations sur une convention sur les armes nucléaires ou un accord sur un ensemble d'instruments juridiques séparés se renforçant mutuellement, et basés sur un système de vérification renforcé". Symétriquement, la question controversée de la généralisation du Protocole additionnel de l'AIEA s'est traduite par cette formule indirecte (II- Action 28) : "La Conférence ENCOURAGE toutes les parties qui ne l'ont pas encore fait à conclure et à faire entrer en force les protocoles aussi vite que possible...". D'autres ont été obtenus en se référant aux déclarations d'Obama à Prague déjà validées par le Conseil de sécurité en septembre 2009, ou en prenant appui sur l'engagement "sans équivoque" accepté par les puissances nucléaires en l'an 2000. La déclaration contient également de fortes références au CTBT et à la nécessité de sa mise en oeuvre, contrairement à 2000. Par contre, les références au Traité d'interdiction des matières fissiles ("cut-off") sont moins pressantes du fait de l'opposition du Pakistan (et de la Chine), et des divergences sur la prise en compte ou non des stocks existants.
L'adoption d'un document final, même non entièrement satisfaisant, est en soi un succès politique, un échec aurait avantagé ceux qui ne veulent pas d'un monde dénucléarisé. Un élément décisif a été constitué par le fait que le président Obama avait besoin d'un succès lui permettant la ratification des accords SALT ainsi qu'une éventuelle ratification du CTBT. S'il n'avait pu obtenir de texte final, il aurait été en difficulté pour poursuivre sa politique de détente militaire et de passage d'une politique de domination par la force comme l'exerçait G. Bush à une politique de domination plus politique (la "puissance douce"). De nombreux États étaient conscients de cet enjeu car ils soutiennent ce nouveau cours de la politique US et ont fait des efforts pour aider aux compromis.
Même si les projecteurs de l'actualité sont braqués aujourd'hui sur le Moyen-Orient, l'histoire retiendra sans doute que cette Conférence a mis en évidence une fracture profonde dans la communauté internationale sur deux problèmes centraux : le rôle des armes nucléaires et le niveau des garanties qui doit les accompagner (c'est la question de l'universalisation du Protocole additionnel de l'AIEA), la place d'un processus multilatéral pour éliminer les armes nucléaires (c'est le principe d'une Convention d'abolition). Un des enseignements majeurs aura bien été l'incapacité des puissances nucléaires à empêcher l'émergence de la notion de Convention d'abolition même s'ils ont réussi à limiter les autres engagements de désarmement au niveau de ceux de la Conférence de 2000. Certes, la référence à la Convention dans le texte est faible MAIS elle a une double importance : elle installe le concept de Convention dans le discours officiel du TNP et donc elle enlève la fausse excuse à certains gouvernements disant, "si on discute de la Convention, on sort du TNP et on risque de l'affaiblir" : parler de la Convention aujours'hui, c'est parler aussi du TNP ! En même temps, il est clair aujourd'hui que le débat sur une Convention d'élimination est vital, pas seulement pour le désarmement nucléaire et l'application de l'article VI, mais parce que c'est la condition pour renforcer les garanties de vérification comme les protocoles additionnels et pour aller à une sécurité nucléaire véritable car elle inclurait forcément ces dimensions.
Cela signifie que cela permettrait sans doute d'aborder de manière positive et créative cette question qui reste toujours en suspens, vingt ans après la fin de la Guerre froide, qui est celle de construire de nouvelles relations internationales correspondants réellement à ce monde post-Guerre froide, un nouveau concept global liant meilleure sécurité collective ET abolition des armes nucléaires.
Ce serait le moyen de surmonter l'opposition artificielle des discours : "éliminons d'abord et la sécurité collective s'améliorera" d'un côté et "améliorons la sécurité collective et nous éliminerons ensuite" de l'autre. Il y a là, certainement, encore matière à réfléchir et échanger, tant au sein des ONGs et des chercheurs qu'au sein des diplomates pour approfondir tout ce que peut apporter une négociation élargie d'une Convention d'abolition des armes nucléaires.
11 juin 2010
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