vendredi 28 novembre 2025

Un service militaire volontaire : pourquoi ?

En annonçant la création d'un service militaire volontaire, Emmanuel Macron continue de dramatiser la situation du monde pour justifier le virage de plus en plus militarisé de sa politique intérieure.
Il s'inscrit maintenant pleinement dans l’affrontement entre puissances occidentales et Russie, commencé depuis le début des années 2000.
Celui-ci s'était traduit d'abord avant 2014 par la pression agressive de l'OTAN, s’étendant jusqu'aux frontières de la Russie, et, du côté de celle-ci, par l’invasion et l’occupation de la Crimée en 2014.
Cet affrontement et cette guerre souterraine se sont poursuivis avec, d'un côté le soutien multiforme des occidentaux à toutes les forces hostiles à la Russie comme en Géorgie, en Moldavie, en Ukraine (coup d’état du Maïdan) pour se terminer en 2022 par l’inqualifiable agression militaire de la Russie contre l'Ukraine, en défiant le droit international.
La France aurait dû travailler, comme sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, lui en fait obligation, selon l'article 1 de la Charte des Nations Unies, à une issue politique et diplomatique à la guerre, dans le cadre du droit international. Elle s'est inscrite, au contraire, dans la stratégie européenne de « paix par la force », animée notamment par Madame Van der Leyen.
Emmanuel Macron, après avoir hésité entre plusieurs postures, entre 2022 et 2024,  est devenu le principal animateur des surenchères visant à bloquer toute initiative de paix, notamment en soutenant l'idée de l'intégration de l'Ukraine dans l’OTAN. Or, chacun sait que la présence de troupes européennes aux frontières de la Russie est la principale hantise du Kremlin !
Nous avons maintenant deux camps qui se menacent de manière de plus en plus provocatrice. Le camp russe continue d’occuper illégalement une partie des territoires ukrainiens et multiplie les initiatives agressives : cyber-attaques et incidents de frontières. De l'autre, le camp occidental met au point des politiques de « réarmement » qui se traduisent par des augmentations irresponsables de dépenses militaires, multiplient les mesures de boycott économique (19 à ce jour) dont la légalité internationale est loin d’être établie et veut même s’emparer des avoirs bancaires russes, ce qui serait de la piraterie pure.
C'est dans ce contexte que se multiplient les déclarations incendiaires du nouveau Chef d'état-major des armées, brandissant une menace russe, comme si demain,  les blindés de Poutine allaient rouler sur les Champs-Élysées !
C'est cette mise en scène sinistre qui est censée justifier l'annonce de la création d'un service militaire volontaire de 10 mois, visant 40 000 recrues à terme en 2035. Ce service ne correspond à aucun besoin réel de l'armée : pas de spécialistes aussi bien en sécurité informatique qu’en conception et utilisation de drones de combat, en systèmes de protection anti-missiles par exemple ! Non, des jeunes sans qualification spéciale !Ceux-ci seront recrutés et leur se,ule formation précisée par le Président de la République, sera celle-ci : « ils se formeront au maniement des armes, à la marche au pas, au chant, à l'ensemble des rituels qui nourrissent la fraternité de nos armées » !
Dans ces conditions, la seule hypothèse crédible que l’on peut formuler est qu’ils pourraient être utilisés pour remplacer les militaires de métier dans les tâches « domestiques » comme l’opération Sentinelle et les patrouilles dans nos villes et nos lieux publics avec tous les risques que leur inexpérience fera courir aux populations,.
Ils remplaceraient ainsi éventuellement les troupes de métier envoyées en opérations extérieures, en Ukraine par exemple, dans le cadre des fumeuses « garanties de sécurité » promises par E. Macron.
Il est clair que la médiatisation anxiogène autour de cette annonce sert d’abord à justifier l'alimentation du budget militaire qui a doublé depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir en 2017 et qui risque de redoubler d’ici 2030 pour dépasser la somme faramineuse de 100 milliards d'euros par an !
Plusieurs dizaines de milliards d'euros vont ainsi être soustraits aux dépenses sociales, à celles d'éducation et de santé. Ils s'ajouteront aux coupes déjà programmées dans les budgets par le gouvernement actuel.
Je le répète, la justification de cette course aux dépenses d’armement par la « menace russe » laisse dubitatif beaucoup de spécialistes. Dans ses auditions au Sénat et à l’Assemblée nationale,  le général Mandon avait annoncé comme possible un conflit avec la Russie dans les trois ou quatre ans à venir. Il parlait de guerre hybride, de cyberattaque donc d’affrontements qui n’ont rien à voir avec des conflits de « haute intensité » qui, eux, sont générateurs de milliers de morts !
Au lendemain de son discours sur le service militaire, dans une rencontre avec les lecteurs du groupe de presse EBRA, Emmanuel Macron a dû opérer une marche arrière prudente. Après avoir  simplement évoqué le fait qu’« il y a une guerre informationnelle qui est menée par des puissances étrangères », il a concédé : « Je ne pense pas qu'on sera attaqué demain par la Russie, mais nous devons nous préparer ».
Oui, renforçons nos moyens dans la « guerre hybride » en cours, sur le plan de l’information, du cyber, éventuellement des drones et des systèmes anti-missiles, mais travaillons à écarter tout retour à la possibilité d’un conflit généralisé en Europe, qui serait fatal à la civilisation humaine. Nous connaissons le remède : faire baisser la tension, prendre des initiatives diplomatiques pour déboucher sur des négociations, des accords qui ne remettent pas en cause de manière définitive le droit international. Enfin, en tant qu’Européens, nous avons le devoir, non pas de développer une « défense européenne » débouchant sur une politique de blocs militaires, mais de re-construire une « sécurité commune européenne » entre tous les pays européens, de « l’Atlantique à l’Oural » pour reprendre une formule célèbre. Nous avions progressé sur ce chemin, il y a cinquante ans, avec les accords d’Helsinki. Pourquoi ne pas reprendre ce chantier pour le mener à son terme ? Rappelons que c’est l’impératif qui s’impose à tous les États, selon le droit international tel qu’il est exprimé dans la Charte des Nations unies et qui appelle « - à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales, -  à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu'il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l'intérêt commun ».

Daniel Durand
28 novembre 2025

 

mardi 11 novembre 2025

11 novembre : « Si tu veux la paix, prépare la paix »

Ceci est le texte d'un article publié en ligne sur le site du journal L’Humanité le 10 novembre 2025 - https://www.humanite.fr/en-debat/11-novembre/11-novembre-si-tu-veux-la-paix-prepare-la-paix )

************ 

La commune de Saint-Martin-d’Estréaux, dans le nord du département de la Loire, possède un monument aux morts remarquable. Des phrases dénonçant la boucherie de la guerre de 1914-1918, y figurent, décidées par le maire de l’époque, Pierre Monot, je retiendrai celle-ci :

« Si tout l’effort produit…
Et l’argent dépensé pour la guerre
L’avaient été pour la paix… ?
Pour le progrès social, industriel et économique ?
Le sort de l’humanité serait bien différent.
La misère
Serait en grande partie bannie de l’univers ».

Quelle résonance, quelle actualité en pensant, qu’actuellement est discuté le budget militaire français qui dépasse les 50 milliards d’euros. Son montant était de 32 milliards d’euros en 2017 pour atteindre 67,4 milliards en 2030. Les nouveaux objectifs visant à atteindre 5 % du PIB vont faire exploser ces chiffres. Dès mars 2025dans les pages de La Tribune dimanche, un certain M. Lecornu, alors ministre de la Défense, déclarait, « il est clair qu’un horizon autour de 100 milliards d’euros par an constituerait le poids de forme idéal pour les armées françaises ».

Les dépenses militaires françaises auront ainsi doublé en deux mandats d’Emmanuel Macron ! Au niveau mondial, les dépenses d’armements ont atteint le chiffre exorbitant de 2 700 milliards de dollars en 2024. Elles n’étaient que de 1 000 milliards de dollars en 1989 à la fin de la Guerre froide ! Le monde est-il plus sûr pour autant, sera-t-il plus sûr demain si nous continuons dans cette voie ?

Sur le monument aux morts de Saint-Martin-d’Estréaux, il y a également cette inscription : « Ci vis pacem para bellum !… Ou si tu veux la paix prépare la guerre ! est une devise dangereuse ! »

Dangereuse, en effet. La principale leçon de ces vingt-cinq dernières années a été marquée par l’échec de toutes les solutions de force, de nature militaire, qui ont été appliquées dans les diverses crises ou conflits : Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Afrique centrale et aujourd’hui Ukraine et Palestine. Dans tous ces pays, la situation des populations, de la vie quotidienne est pire aujourd’hui qu’au début de ces conflits.

Le premier point à retenir est donc que les dépenses militaires n’assurent pas la paix de la planète et ne garantissent pas la sécurité de ses habitants. Le deuxième point à dénoncer est le gaspillage de ressources qu’elles représentent au regard des besoins dans le monde. Que l’on songe que les besoins de financement pour réaliser les Objectifs de développement durable dans les 59 pays en développement à faible revenu dans le monde s’élèvent à 400 milliards de dollars par an, à comparer aux 2400 milliards de dollars de dépenses militaires !

Que l’on songe aux 3,3 milliards d’euros d’augmentation des dépenses militaires françaises dans le budget 2025 face aux diminutions de ressources, aux suppressions d’emplois, prévues pour l’éducation et la santé par exemple !

Sur le monument aux morts de Saint-Martin-d’Estréaux, la phrase suivante est celle-ci : « Ci vis pacem para pacem !… ou si tu veux la paix prépare la paix ! doit être la formule de l’avenir ! »

Combien avait raison Pierre Monot et les citoyens et citoyennes de Saint-Martin-d’Estréaux en écrivant cette phrase en 1922 !

Oui, la leçon de ces dernières décennies est claire : les seules issues viables, crédibles aux conflits et aux crises internationales, sont dans la mise en œuvre de processus politiques et diplomatiques mettant en place des solutions négociées dans le respect du droit international.

En cette année 2025, nous célébrons le 80e anniversaire de la création des Nations unies et de leur Charte. Ratifiée le 24 octobre 1945, cette Charte des Nations unies commence par cette phrase magnifique : « Nous, peuples des nations unies, résolus – à préserver les générations futures du fléau de la guerre » et continue ainsi : « Et à ces fins (…) à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun ».

C’est ce refus de la guerre comme solution aux différends qu’ont accepté depuis 1945, les 51 États de départ, devenus 193 États aujourd’hui, et que refusent d’appliquer sérieusement les plus puissants d’entre eux, une poignée, au sein du Conseil de sécurité.

Le rêve de Pierre Monod sur le monument aux morts de Saint-Martin-d’Estréaux a été réalisé en 1945 dans la Charte des Nations unies et c’est notre responsabilité de citoyens et de citoyennes, d’agir, « Nous, peuples des Nations unies », en proclamant haut et fort, « appliquez notre règle commune », telle qu’elle est précisée un peu plus loin dans la Charte par ces mots très clairs ; « Les Membres de l’Organisation (des Nations unies) règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ».

N’est-ce pas à cette intervention massive des citoyens et citoyennes, partout sur la planète, et tout spécialement sur le continent européen, tenté par un « réarmement » mortifère, qu’il faut travailler ? Réintégrer l’action pour la paix dans toutes les actions sociales, comme essaient de le faire, depuis septembre, nos amis allemands, en mobilisant des dizaines de milliers de manifestants, ne doit-il pas devenir une préoccupation centrale ?

Je suis tenté d’écrire : écoutons les injonctions portées sur le monument de Saint-Martin-d’Estréaux, car aujourd’hui, elles sont devenues la loi internationale ! Rappelons-le en permanence ! Ne craignons pas de dire comme il est inscrit aussi sur ce monument aux morts : « Maudite soit la guerre et ses auteurs ! ».

Daniel Durand - Président de l'IDRP  

Dernier ouvrage publié : "ONU. Droit international : notre maison commune, notre avenir", Bod éditeur, octobre 2025.