Ceci est le texte d'un article publié en ligne sur le site du journal L’Humanité le 10 novembre 2025 - https://www.humanite.fr/en-debat/11-novembre/11-novembre-si-tu-veux-la-paix-prepare-la-paix )
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La commune de Saint-Martin-d’Estréaux, dans le nord du département de la Loire, possède un monument aux morts remarquable. Des phrases dénonçant la boucherie de la guerre de 1914-1918, y figurent, décidées par le maire de l’époque, Pierre Monot, je retiendrai celle-ci :
« Si tout l’effort produit…
Et l’argent
dépensé pour la guerre
L’avaient été pour la paix… ?
Pour
le progrès social, industriel et économique ?
Le sort de
l’humanité serait bien différent.
La misère
Serait en
grande partie bannie de l’univers ».
Quelle résonance, quelle actualité en pensant, qu’actuellement est discuté le budget militaire français qui dépasse les 50 milliards d’euros. Son montant était de 32 milliards d’euros en 2017 pour atteindre 67,4 milliards en 2030. Les nouveaux objectifs visant à atteindre 5 % du PIB vont faire exploser ces chiffres. Dès mars 2025, dans les pages de La Tribune dimanche, un certain M. Lecornu, alors ministre de la Défense, déclarait, « il est clair qu’un horizon autour de 100 milliards d’euros par an constituerait le poids de forme idéal pour les armées françaises ».
Les dépenses militaires françaises auront ainsi doublé en deux mandats d’Emmanuel Macron ! Au niveau mondial, les dépenses d’armements ont atteint le chiffre exorbitant de 2 700 milliards de dollars en 2024. Elles n’étaient que de 1 000 milliards de dollars en 1989 à la fin de la Guerre froide ! Le monde est-il plus sûr pour autant, sera-t-il plus sûr demain si nous continuons dans cette voie ?
Sur le monument aux morts de Saint-Martin-d’Estréaux, il y a également cette inscription : « Ci vis pacem para bellum !… Ou si tu veux la paix prépare la guerre ! est une devise dangereuse ! »
Dangereuse, en effet. La principale leçon de ces vingt-cinq dernières années a été marquée par l’échec de toutes les solutions de force, de nature militaire, qui ont été appliquées dans les diverses crises ou conflits : Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Afrique centrale et aujourd’hui Ukraine et Palestine. Dans tous ces pays, la situation des populations, de la vie quotidienne est pire aujourd’hui qu’au début de ces conflits.
Le premier point à retenir est donc que les dépenses militaires n’assurent pas la paix de la planète et ne garantissent pas la sécurité de ses habitants. Le deuxième point à dénoncer est le gaspillage de ressources qu’elles représentent au regard des besoins dans le monde. Que l’on songe que les besoins de financement pour réaliser les Objectifs de développement durable dans les 59 pays en développement à faible revenu dans le monde s’élèvent à 400 milliards de dollars par an, à comparer aux 2400 milliards de dollars de dépenses militaires !
Que l’on songe aux 3,3 milliards d’euros d’augmentation des dépenses militaires françaises dans le budget 2025 face aux diminutions de ressources, aux suppressions d’emplois, prévues pour l’éducation et la santé par exemple !
Sur le monument aux morts de Saint-Martin-d’Estréaux, la phrase suivante est celle-ci : « Ci vis pacem para pacem !… ou si tu veux la paix prépare la paix ! doit être la formule de l’avenir ! »
Combien avait raison Pierre Monot et les citoyens et citoyennes de Saint-Martin-d’Estréaux en écrivant cette phrase en 1922 !
Oui, la leçon de ces dernières décennies est claire : les seules issues viables, crédibles aux conflits et aux crises internationales, sont dans la mise en œuvre de processus politiques et diplomatiques mettant en place des solutions négociées dans le respect du droit international.
En cette année 2025, nous célébrons le 80e anniversaire de la création des Nations unies et de leur Charte. Ratifiée le 24 octobre 1945, cette Charte des Nations unies commence par cette phrase magnifique : « Nous, peuples des nations unies, résolus – à préserver les générations futures du fléau de la guerre » et continue ainsi : « Et à ces fins (…) à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun ».
C’est ce refus de la guerre comme solution aux différends qu’ont accepté depuis 1945, les 51 États de départ, devenus 193 États aujourd’hui, et que refusent d’appliquer sérieusement les plus puissants d’entre eux, une poignée, au sein du Conseil de sécurité.
Le rêve de Pierre Monod sur le monument aux morts de Saint-Martin-d’Estréaux a été réalisé en 1945 dans la Charte des Nations unies et c’est notre responsabilité de citoyens et de citoyennes, d’agir, « Nous, peuples des Nations unies », en proclamant haut et fort, « appliquez notre règle commune », telle qu’elle est précisée un peu plus loin dans la Charte par ces mots très clairs ; « Les Membres de l’Organisation (des Nations unies) règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ».
N’est-ce pas à cette intervention massive des citoyens et citoyennes, partout sur la planète, et tout spécialement sur le continent européen, tenté par un « réarmement » mortifère, qu’il faut travailler ? Réintégrer l’action pour la paix dans toutes les actions sociales, comme essaient de le faire, depuis septembre, nos amis allemands, en mobilisant des dizaines de milliers de manifestants, ne doit-il pas devenir une préoccupation centrale ?
Je suis tenté d’écrire : écoutons les injonctions portées sur le monument de Saint-Martin-d’Estréaux, car aujourd’hui, elles sont devenues la loi internationale ! Rappelons-le en permanence ! Ne craignons pas de dire comme il est inscrit aussi sur ce monument aux morts : « Maudite soit la guerre et ses auteurs ! ».
Daniel Durand - Président de l'IDRP
Dernier ouvrage publié : "ONU. Droit international : notre maison commune, notre avenir", Bod éditeur, octobre 2025.