(English translation below)
Le début du 3e mois de guerre en Ukraine est marqué par trois processus inquiétants.
Le premier d'entre eux est constitué par les annonces d'augmentation des budgets ou dépenses militaires très rapides dans de nombreux pays après l'attaque de l'Ukraine. La majorité des pays européens s'est engagée à atteindre les 2% du PIB pour leur budget militaire, voire plus de 3 % pour la Pologne, ce qui va se traduire par des augmentations considérables : enveloppe de 100 Mds pour l'Allemagne, plus 40 % pour la Finlande. Aux USA, le gouvernement Biden a annoncé une proposition de budget pour 2023 de 813 milliards de dollars, contre 782 milliards en 2022.
Ces augmentations s'ajoutent à des hausses intervenues déjà entre 2019 et 2021, puisque les dépenses militaires du Royaume-Uni sont passées de 59,4 Mds de $ à 61,5 puis 71,6 – celles de la France 52,1 à 54,9 puis 59,3 – celles de l’Allemagne de 48,4 à 52,1 puis 56,1 Mds de €.
Le dérapage des budgets militaires en Europe est très préoccupant sur le fond, car il annonce une militarisation croissante des économies européennes.
Il renforce la tendance générale à la militarisation mondiale. L'institut suédois, SIPRI, vient d'annoncer que le total des dépenses militaires mondiales s'est élevé à 2100 mds de $ en 2021 : un record absolu ! Ce sont des chiffres obscènes par rapport à la pauvreté mondiale, aux sommes à dégager pour les Objectifs mondiaux de développement durable, la santé, l'éducation et pour répondre aux besoins pour la survie de la planète, rappelés par le dernier rapport du GIEC.
Un 2e phénomène est lui aussi très inquiétant dans l'immédiat : c'est celui de l'accroissement de plus en plus rapide des fournitures d'armes à l'Ukraine et l'engagement des pays européens de manière de plus en plus directe dans le conflit.
Un conflit c'est comme un feu de forêt : ou on essaie dès le départ et le plus tôt possible de le stopper, de le geler puis de trouver une solution pérenne : c'est la diplomatie, la solution politique même temporaire, la moins injuste possible. Ou on laisse le feu se développer, on y jette même des éléments incendiaires, on souffle dans une direction en espérant que si un versant de la vallée est brulé, l'autre sera peut-être épargné ; calcul illusoire car chaque versant a besoin de l'autre pour vivre et un changement de vent et un retour de flamme sont toujours à craindre.
Concrètement, en Ukraine aujourd'hui, il semble de plus en plus clair que certains pays occidentaux, emmenés par les USA, ne cherchent pas prioritairement l'arrêt des combats et une solution politique mais veulent l'amplification de la guerre en promettant une hypothétique victoire de l'Ukraine, sans souci des souffrances de la population et des risques d'extension du conflit.
« Si elle a les bons équipements, l’Ukraine peut gagner la guerre », a déclaré dimanche l'américain Lloyd Austin, espérant également que « la Russie soit suffisamment affaiblie » pour « ne plus mener d’invasion » à l’avenir comme celle du 24 février dernier.
Les États-Unis, mais aussi tous les pays européens, s'engagent dans la fourniture d'armes offensives lourdes : obusiers, lance-missiles, chars d'assaut et aviation.
L'Allemagne a brisé tous les tabous de son histoire récente et se lance dans une politique militaire de plus en plus plus inquiétante. En plus des 100 Mds d'euros de crédits exceptionnels supplémentaires pour moderniser son armée (le double de son budget militaire annuel), elle liquide au profit de l'Ukraine tous les vieux stocks d'armes de l'ex-RDA et va livrer aussi des chars d'assaut Léopard 1. Mieux ! Elle monterait un jeu à trois bandes, selon l’agence de presse DPA : la Slovénie livrerait très rapidement plusieurs dizaines de chars T-72 à l’Ukraine et recevrait ensuite, en compensation, de l’Allemagne des blindés plus modernes de type Marder.
Les États-Unis après avoir décidé de livrer pour environ 5 Mds de $ d'armements depuis le début du conflit, envisageraient de débloquer 20 Mds de $ supplémentaires d'armements, presque la moitié du budget militaire français annuel. Nous sommes face à une escalade telle que personne ne peut dire sérieusement aujourd'hui qu'elle vise à faire aboutir à la paix en Europe.
Toutes ces fournitures d'armes à un pays en guerre placent les pays fournisseurs en position de pays co-belligérants, de facto, au conflit. Il est d'autant plus surprenant d'apprendre que la France a livré en secret des lance-missiles Milan et va livrer des super-canons Caesar, une décision prise par un Président de la République en pleine campagne électorale, sans réunion d'un Conseil de défense et sans consulter le Parlement. La semaine dernière, dans un entretien téléphonique avec le président Zélensky, Emmanuel Macron aurait même promis de renforcer l'aide militaire à l'Ukraine. Avec quel mandat ? Cela pose au minimum des questions de transparence et d'autorisation de la représentation nationale.
Ces engagements de plus en plus directs des pays européens, dont la France, dans le soutien militaire direct à l'Ukraine sont porteurs de risque d'extension du conflit, d'escalade militaire. L'armée russe a commencé de bombarder des dépôts de matériel militaire livré en Pologne ou en Bulgarie par les pays extérieurs, puis des voies ferrées dans l'Ouest de l'Ukraine, mais pourquoi pas demain des entrepôts ou un terrain d'aviation juste de l'autre côté de la frontière ?
Le 3e élément inquiétant est le fait que cette posture d'entrée en belligérance par le biais des fournitures d'armes de plus en plus visible par les pays de l'OTAN s'accompagne de déclarations elles-aussi très guerrières, comme celle déjà citée de Lloyd Austin, ou les épithètes de Biden qualifiant Poutine de "boucher", de "criminel", auteur de "génocide". Ces déclarations menaçantes font monter la tension diplomatique, conduisent à une escalade verbale inquiétante, ainsi du côté russe, on a entendu le ministre Lavrov parler de "risque de 3e guerre mondiale" et Vladimir Poutine évoquer une "riposte foudroyante".
Militarisation, fournitures d'armes et escalade verbale créent un cocktail explosif où le seuil des "lignes rouges", des "intérêts vitaux" se trouvent abaissés. or, ce sont ces appréciations subjectives qui sont au coeur des décisions d'emploi des armes nucléaires.
Tous les acteurs du conflit, qu'ils soient directs comme la Russie et l'Ukraine, indirects comme les pays de l'OTAN ont la responsabilité de faire retomber la tension, de favoriser toutes les tentatives de médiation, d'ouverture ou ré-ouverture de pourparlers pour aboutir à un cessez-le-feu et faire démarrer des discussions sur un accord politique. C'est bien sûr aussi et d'abord la responsabilité des Nations unies, tant des membres du Conseil de sécurité que de son Secrétaire général. Celui-ci a rencontré (on est tenté de dire : "enfin" !) MM Poutine et Zélensky. Il faut poursuivre ces efforts ! C'est aujourd'hui une urgence cruciale si on ne veut pas voir la situation déraper, déboucher sur une extension de la guerre aux pays voisins de l'Ukraine, voire dégénérer en un conflit aux conséquences imprévisibles, jusqu'au spectre, pas si irréel que cela, d'une 3e guerre mondiale avec le cauchemar de la guerre nucléaire.
Cela ne semble pas être l'orientation actuelle des politiques étrangères, y compris dans notre pays. N'y-a-t-il pas vraiment urgence qu'il y ait une pression des opinions publiques considérablement plus forte qu'aujourd'hui en faveur de la paix ?
Daniel Durand - 3 mai 2022
Directeur de l'IDRP (Institut de documentation et de recherche pour la paix)
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Ukraine: arms deliveries, military spending, verbal escalation The disaster scenario?
The beginning of the third month of war in Ukraine is marked by three worrying processes.
The first of these is the announcement of very rapid increases in military budgets or spending in many countries after the attack on Ukraine. The majority of European countries have committed themselves to reaching 2% of GDP for their military budget, even more than 3% for Poland, which will result in considerable increases: an envelope of 100 billion for Germany, plus 40% for Finland. In the US, the Biden administration has announced a proposed budget for 2023 of $813 billion, up from $782 billion in 2022.
These increases come on top of increases that have already taken place between 2019 and 2021, with the UK's military spending rising from $59.4bn to $61.5bn to $71.6bn - France's from $52.1bn to $54.9bn to $59.3bn - Germany's from €48.4bn to €52.1bn to €56.1bn.
The slippage of military budgets in Europe is very worrying because it heralds an increasing militarisation of European economies.
It reinforces the general trend towards global militarisation. The Swedish institute, SIPRI, has just announced that total world military spending will reach $2,100 billion in 2021: an absolute record! These are obscene figures compared to world poverty, to the sums to be released for the Global Sustainable Development Goals, health, education and to meet the needs for the survival of the planet, as recalled by the latest IPCC report.
A second phenomenon is also very worrying in the immediate future: the increasingly rapid increase in arms supplies to Ukraine and the involvement of European countries in an increasingly direct way in the conflict.
A conflict is like a forest fire: either we try from the start and as soon as possible to stop it, to freeze it and then to find a permanent solution: this is diplomacy, the political solution, even if it is temporary, the least unjust possible. Or we let the fire develop, we even throw incendiary elements into it, we blow in one direction hoping that if one side of the valley is burnt, the other will perhaps be spared; an illusory calculation because each side needs the other to live and a change of wind and a return of flame are always to be feared.
In concrete terms, in Ukraine today, it seems increasingly clear that certain Western countries, led by the USA, are not primarily seeking an end to the fighting and a political solution, but want to amplify the war by promising a hypothetical victory for Ukraine, without concern for the suffering of the population and the risks of the conflict spreading.
"If it has the right equipment, Ukraine can win the war", said the American Lloyd Austin on Sunday, also hoping that "Russia is sufficiently weakened" to "not carry out any more invasions" in the future like the one on 24 February.
The US, but also all European countries, are committed to providing heavy offensive weapons: howitzers, missile launchers, tanks and aircraft.
Germany has broken all the taboos of its recent history and is embarking on an increasingly worrying military policy. In addition to the 100 billion euros of exceptional additional credits to modernise its army (double its annual military budget), it is liquidating all the old stocks of weapons of the former GDR for the benefit of Ukraine and is also going to deliver Leopard 1 tanks. Better still! According to the DPA press agency, Slovenia is planning a three-tiered game: it will very quickly deliver several dozen T-72 tanks to Ukraine and will then receive more modern Marder tanks from Germany as compensation. The United States, after having decided to deliver about $5 billion worth of arms since the beginning of the conflict, is considering releasing an additional $20 billion worth of arms, almost half of the annual French military budget. This is such an escalation that no one can seriously say today that it is aimed at achieving peace in Europe.
All these arms supplies to a country at war place the supplier countries in the position of de facto co-belligerents in the conflict. It is all the more surprising to learn that France has secretly delivered Milan missile launchers and will deliver Caesar super guns, a decision taken by a President of the Republic in the middle of an election campaign, without a Defence Council meeting and without consulting Parliament. Last week, in a telephone conversation with President Zelensky, Emmanuel Macron even promised to strengthen military aid to Ukraine. With what mandate? This raises at least questions of transparency and authorisation from the European Parliament.
These increasingly direct commitments of European countries, including France, in direct military support to Ukraine carry the risk of extending the conflict, of military escalation. The Russian army has started bombing depots of military equipment delivered to Poland or Bulgaria by external countries, then railways in the West of Ukraine, but why not tomorrow warehouses or an airfield just on the other side of the border?
The third worrying element is the fact that this posture of belligerence through the increasingly visible supply of arms by NATO countries is accompanied by statements that are also very warlike, such as the one already quoted by Lloyd Austin, or the epithets of Biden describing Putin as a "butcher", a "criminal", the author of "genocide". These threatening declarations have raised diplomatic tension and led to a worrying verbal escalation. On the Russian side, Minister Lavrov spoke of the "risk of a third world war" and Vladimir Putin spoke of a "lightning response".
Militarisation, arms supplies and verbal escalation create an explosive cocktail where the threshold of "red lines" and "vital interests" are lowered.
All the actors in the conflict, whether direct, such as Russia and Ukraine, or indirect, such as the NATO countries, have a responsibility to ease the tension, to encourage all attempts at mediation, the opening or reopening of talks to bring about a ceasefire and to start discussions on a political agreement. This is now a crucial emergency if we do not want to see the situation get out of hand, leading to an extension of the war to Ukraine's neighbours, or even degenerating into a conflict with unpredictable consequences, up to the not-so-unreal spectre of a third world war with the nightmare of nuclear war.
This does not seem to be the current direction of foreign policy, including in our country. Isn't it really urgent that there be considerably more public pressure for peace than there is today?
Daniel Durand - 3 May 2022
Director of the IDRP (Institute of Documentation and Research for Peace)
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