vendredi 28 septembre 2018

EMMANUEL MACRON À L'ONU : PRINCIPES OU "COM" ?

Le président de la République Emmanuel Macron s'est exprimé le 25 septembre à la tribune des Nations unies. Son discours s'est voulu beaucoup plus dense et structuré que l'année dernière dans cette enceinte. il reprend et prolonge le discours du 27 août dernier devant les ambassadeurs à Paris. À l'évidence, Emmanuel Macron a voulu en faire un discours fondateur de sa politique étrangère.
UN MULTILATÉRALISME FORT
Celui-ci est construit autour de la défense et illustration d'un "multilatéralisme fort" opposé à "l’unilatéralisme" qui vise, sans le nommer, la politique défendue par Donald Trump, qui "nous conduit directement au repli et au conflit, à la confrontation généralisée de tous contre tous, au détriment de chacun". Pour le président français,  "La loi du plus fort ne protège aucun peuple contre quelque menace que ce soit, qu’elle soit chimique ou nucléaire".
Il a donné l'exemple du débat avec l'Iran et celui du conflit israélo-palestinien. Pour lui, "Qu’est ce qui permettra de régler la crise entre Israël et la Palestine ? Pas des initiatives unilatérales, ni le fait d’ignorer les droits légitimes des Palestiniens pour obtenir une paix durable, ni de sous-estimer le droit légitime des Israéliens à leur sécurité. Il n’y a pas d’alternative crédible à la solution de deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité avec Jérusalem pour capitale".
Pour Emmanuel Macron, ce "multilatéralisme fort" doit se construire autour de "trois principes : le premier, c’est le respect des souverainetés, au fondement même de notre charte ; le second, c’est le renforcement de nos coopérations régionales ; et le troisième, c’est l’apport de garanties internationales plus robustes".
Il a renouvelé l'appui apporté l'année dernière à cette tribune au rôle central des Nations unies dans la solution politique des crises, comme en Syrie ou en Libye. Prenant ouvertement le contre-pied des dernières mesures états-uniennes, il a affirmé que "nous soutiendrons les agences qui œuvrent à un projet de paix et d’humanité : l’UNESCO, cette conscience même des Nations unies, le Conseil des droits de l’homme, la Cour pénale internationale, l’UNRWA pour laquelle nous augmenterons notre contribution car je le rappelle ici, il s’agit simplement de permettre à des centaines de milliers d’enfants d’aller à l’école".
Enfin, il a accordé dans son propos une large place à la lutte contre les inégalités dans les monde, comme seul chemin pour renforcer la stabilité mondiale, car pour lui, "qu’est-ce qui fait renaître les nationalismes, le doute sur notre assemblée ? Qu’est-ce qui fait naître partout les crises ? Ce sont ces inégalités profondes que nous n’avons pas su régler".
Cela passe par placer l'avenir de l'Afrique au coeur de cet Agenda "pour que son rôle soit central dans la recomposition du système international. Ce n’est pas seulement sur ce continent que nous gagnerons ou que nous perdrons collectivement notre grande bataille contre les inégalités. C’est avec ce continent".
"ANTI-TRUMP ?"
Avec ce discours, Emmanuel Macron a voulu, devant la communauté internationale se placer comme "l'anti-Trump", l'homme du multilatéralisme et des principes face à l'unilatéralisme et l'égoïsme, reconstruire une image de la France comme pays des valeurs universelles. Cette posture peut aider à empêcher certains États à s'engouffrer dans la brèche ouverte par les États-Unis dans le multilatéralisme, à en conforter d'autres, victimes de la pression politique ou commerciale de Trump, dans leur résistance. C'est sans doute pour encourager cette posture que les Nations unies ont décerné à Emmanuel Macron le titre annuel de "champion de la terre". On peut noter également que la réunion du Conseil de sécurité, le lendemain, a vu un Donald Trump complètement isolé sur la question du nucléaire iranien.
Sa volonté de montrer son soutien au multilatéralisme a amené la président à remettre en cause la prééminence de fait que s'octroie le G7, qui sera présidé par la France en 2019. Il a déclaré, non sans emphase, que "C’est aux Nations Unies que je tenais à dire en premier que cet agenda des inégalités sera au cœur du prochain G7. C’est devant vous aussi que je m'engage à venir rendre compte des résultats du G7 de Biarritz en septembre prochain, parce que le temps où un club de pays riches pouvait définir seul les équilibres du monde est depuis longtemps dépassé. Parce que le destin de chacun des pays qui le composent est indissociable de celui de tous les membres de cette assemblée".

Je suis de ceux qui pensent qu'il faut prendre au sérieux ces positions du Président de la République française, et ne pas les traiter par le petit bout de la lorgnette politicienne, comme je l'ai vu sous la plume de certains commentateurs (un d'entre eux n'hésite pas à écrire que "dans le fond, il partage les analyses du grand frère américain" !).
Il est positif que la diplomatie française sorte des mollesses et des compromissions de la présidence Hollande, ou de l'aventurisme et des foucades de celle de Sarkozy.
Il est positif que la France défende clairement une vision multilatérale du monde, affirme le rôle central des Nations unies et la nécessité de rendre efficace son action pour la paix, contre la pauvreté et les inégalités.
ATTENTION, INCOHÉRENCES ?
En même temps, des questions importantes sont posées. Pour être crédible, la position du président Macron doit résoudre un certain nombre d'incohérences, sous peine d'être traitée de politique du "verbe", voire de la "com" et non de l'action concrète.
Quelles sont ces incohérences ? La première consiste dans le soutien que la France persiste à accorder aux armes nucléaires. Le renforcement du multilatéralisme dans le monde est incompatible avec le maintien du rôle et de l'existence même des armes nucléaires dans le monde. par essence, celles-ci sont des armes de domination politique et militaire qui génèrent les frustrations entre pays dans leur recherche de la sécurité, comme on le voit avec la Corée du nord, Israël ou l'Inde et le Pakistan. Elles favorisent les prétentions des puissants à accorder leur protection, leur "parapluie nucléaire" à des pays "vassaux". Pourtant, Emmanuel Macron a reconnu dans son discours que "La responsabilité de la paix ne se délègue pas, ne se refuse pas, ne se préempte pas, elle s’exerce collectivement. La loi du plus fort ne protège aucun peuple contre quelque menace que ce soit, qu’elle soit chimique ou nucléaire" !
Pour être cohérente et crédible, la France doit opérer un virage politique et travailler concrètement à permettre l'élimination rapide des armes nucléaires. Elle doit prendre des initiatives politiques pour que les pays nucléaires s'associent sous des formes à négocier au processus de signature et de mise en oeuvre du TIAN (Traité d'interdiction des armes nucléaires).
La deuxième non-cohérence réside dans le manque d'articulation entre les propositions d'Emmanuel Macron pour le renforcement de la politique étrangère de l'Europe et son soutien en faveur des Nations unies et du multilatéralisme international. Il serait incohérent et contre-productif de vouloir faire jouer à l'Europe un simple rôle de "pôle de puissance", s'ajoutant et s'opposant aux autres pôles régionaux existants. Il doit y avoir un lien explicite entre toute politique de sécurité et de défense commune européenne et le renforcement du rôle des Nations unies pour la paix et la sécurité internationale. Or, aujourd'hui, Emmanuel Macron découple ces deux approches : il faut donc ouvrir le débat, notamment à la veille des élections européennes.
Troisième grosse non-cohérence : la question de la lutte contre les inégalités dans le monde. La crédibilité du discours présidentiel et celle de son action internationale seront faibles si la politique sociale intérieure du gouvernement français n'est pas corrigée. Celle-ci aggrave au contraire les inégalités dans notre pays, au détriment des retraités, des salariés modestes, des fonctionnaires ! Toute politique de lutte contre les inégalités dans le monde ne pourra réussir qu'en s'appuyant sur des politiques nationales crédibles, y compris dans les pays développés.
Ces quelques réflexions rapides montrent qu'il est nécessaire de mener en France un débat public rigoureux et exigeant, s'appuyant sur l'opinion, pour créer un rapport de forces obligeant le président Macron à ne pas en rester aux proclamations, mais à passer aux actes concrets, et sortir de ses contradictions, ou, s'il ne le fait pas, à éclairer l'opinion publique pour préparer de vraies alternatives.