Deux événements se succèdent sur le calendrier : du 11 au 19 juin, les industriels de l’armement et de la sécurité terrestres participent au salon Eurosatory, au parc des expositions de Villepinte. Ensuite, le 2 juillet s’ouvrira à New York une Conférence des Nations Unies ambitieuse. Préparée depuis 2009 par un groupe de travail onusien et prévue pour durer trois semaines, elle aura pour mission de discuter et adopter un Traité international réglementant le commerce des armes conventionnelles.
Cette succession d'événements montre les contradictions de notre époque. À Eurosatory, 1400 exposants (grands groupes, PME, forces armées…) s'efforcent de vendre des armements toujours plus sophistiqués. Nous sommes dans un monde où la violence globale mondiale ne progresse plus (contrairement aux apparences tirées des Une des journaux télévisés - voir les résultats du sixième Global Peace Index établi par l'organisation Institute for Economics and Peace). De plus, la crise économique restreint les budgets d'équipement, aussi la concurrence est féroce entre fabricants et les arguments font flèche de tout bois.
Ainsi Christian Mons, président du Gicat, le Groupement des industries de défense terrestre (240 entreprises, 20.000 emplois directs et 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires) a-t-il estimé que la France devait maintenir ou augmenter son budget militaire pour être crédible comme membre du Conseil de Sécurité des Nations unies, comme s'il existait un lien entre les deux choses ! Partout, les grands groupes d'armement font pression sur leurs gouvernements d'origine pour qu'ils achètent et utilisent leurs nouveaux types d'armement au prétexte qu'ils vendent plus facilement leurs matériels s'ils sont déjà en service...
Autre type d'évolution préoccupante : de même que sur le plan politique, le président Bush puis plus tard, Nicolas Sarkozy, avaient introduit une confusion entre les notions de défense et de sécurité, sur le plan des armements, on assiste à une volonté d'adapter les matériels militaires aux besoins de la sécurité publique (maintien de l'ordre) ou privée (milices militaires, surveillances d'entreprise). "Il ne s'agit pas que de la sécurité d'État, mais aussi de la sécurité privée", précise Patrick Colas des Francs, commissaire général du salon Eurosatory dans le journal "Le Monde", soulignant que "des entreprises sécurisent les plates-formes pétrolières, le Stade de France, les chaînes d'hôtels ou les clubs de vacances". Il y a là des risques de dérives ou de menaces potentielles sur les libertés démocratiques dans de nombreux pays.
Peut-on avoir des discussions et réflexions uniquement d'ordre économique sur la question des industries d'armements, sur les ventes et achats de ceux-ci, sans discuter de leur adéquation aux besoins réels de défense et aux conséquences des conflits armés et guerres, alimentés pour une part par les ventes excessives d'armes ? Rappelons, comme le fait René Backmannn dans le Nouvel Obs, que d'une manière globale, "en 2011, les dépenses militaires mondiales ont atteint 1738 milliards de dollars. Soit 198 euros par terrien". Sur le plan des ventes d'armement, la France a confirmé son rang de quatrième puissance exportatrice de matériel militaire en 2011 avec des ventes de 6,5 milliards d'euros aux armées étrangères. Or, les ventes d'armement nécessite des intermédiaires. Il faut savoir que la quasi-totalité des grandes affaires politico-judiciaires françaises des vingt dernières années portent sur des contrats d’armements, leurs évolutions ou leurs dérives : des frégates de Taïwan à l'affaire Clearstream et aux sous-marins Agosta au Pakistan, en passant par de possibles accords entre le régime de Kadhafi et des personnalités françaises, toutes ces affaires ont mis en cause des intermédiaires, marchands d’armes et autres corrupteurs. Le nouveau gouvernement français est évidemment très attendu sur cette question.
Il faut savoir également qu'au niveau mondial, le commerce des armes a fortement augmenté : plus 25 % sur les quatre dernières années, selon des statistiques publiées par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) et reprises par le site Internet d'Amnesty International. En 2010, les ventes d'armes et d'équipements militaires ont dépassé 400 milliards de dollars. Toujours, selon Amnesty International, au moins 500 000 personnes meurent chaque année, victimes de la violence armée, lors des 131 conflits armés en cours ou suite à l'usage excessif de la force par les gouvernements, les groupes d'opposition ou la criminalité. Des armes ont été utilisées dans au moins 60% des cas de violations des droits humains.
Le coût des guerres et de la violence pour la société est énorme. Dans un monde "idéal" sans violence, 9 000 milliards de dollars auraient été économisés l'an dernier, l'équivalent des PIB allemands et japonais combinés, selon l'organisation Institute for Economics and Peace...
Une issue positive de la Conférence diplomatique des Nations unies du 2 au 27 juillet prochain sera saluée par tous ceux qui aspirent à un monde plus sûr, plus civilisé et pacifié. Le Traité sur le Commerce des Armes (TCA) en discussion, est basé sur un principe simple : pas de transfert d’armes si celles-ci risquent d’être utilisées pour perpétrer des violations contre les droits de l’Homme.
Jusqu'à présent, il n'existe pas de règles juridiques internationales pour contrôler le commerce des armes, alors qu'il en existe des dizaines pour régenter le commerce de toutes sortes de produits alimentaires, textiles, etc..
L'application d'un tel Traité ne peut réussir que grâce à la transparence (la publication régulière de rapports publics) et la pression des opinions publiques. Le chantier sera difficile en juillet compte-tenu des enjeux politiques et des pressions économiques. Nous y reviendrons mais un dernier chiffre pour la réflexion : selon l'ONG Oxfam, chaque minute, une personne est tuée dans le monde dans le cadre d'un conflit armé...