Dans un article précédent (http://culturedepaix.blogspot.com/2010/12/securite-humaine-un-monde-moins.html), j'ai livré quelques réflexions sur la baisse du nombre des conflits et de leurs victimes dans les dernières décennies. Je soulignais trois éléments qui ont parallèlement profondément changé dans le contexte international : la fin du colonialisme et de ses guerres meurtrières, la fin de la guerre froide et de ses affrontements connexes, la croissance sans précédent des activités internationales autour de l'ONU pour la prévention des conflits, le rétablissement de la paix.
Il s'agit de trois grandes évolutions sans lesquelles on ne peut pas comprendre l'évolution de notre planète des trois dernières décennies mais elles n'expliquent pas à elles seules cet "apaisement" apparent du monde. C'est pourquoi je soulevais dans cet article, les questions suivantes : quelles autres explications apporter à la baisse des conflits et de la violence ? Quelles "raisons de la paix" ? Cette baisse est-elle une tendance irréversible ? Quelles menaces subsistent, pouvant la remettre en cause et refaire exploser la violence du monde ?
Selon les auteurs des deux études mentionnées dans l'article précédent, plusieurs causes concourent à la baisse des violences. Une des premières réside dans l'accroissement considérable des échanges économiques et commerciaux, donc de l'interdépendance des États, dans le cadre des progrès de la mondialisation. Pour le professeur Mack, auteur du Rapport sur la sécurité humaine, "l'interdépendance", dit-il, "a augmenté le coût de la guerre, tout en réduisant ses avantages." Dans le système commercial mondial, il est presque toujours moins cher aujourd'hui d'acquérir des biens et des matières premières par le commerce, que d'envahir un pays afin de les voler.
Selon le rapport, le développement économique est une forme puissante de la prévention des conflits à long terme : dans les pays en développement, la politique économique nationale est de facto une politique de sécurité nationale. L'analyse de l'histoire de l'Asie de l'après-Seconde Guerre mondiale illustre cette situation. Après les dévastations provoquées par les guerres coloniales des grandes puissances de 1945 à 1975, la période suivante du milieu des années 1970 au milieu des années 1990, a vu le PIB par habitant dans la région doubler, et à l'inverse, le nombre de conflit diminuer de plus de moitié.
La croissance économique forte des pays asiatiques et de ceux d'Amérique du Sud mise en relation avec les progrès plus lents en Afrique et Proche-Orient, a des correspondances troublantes sur les cartes d'évolution des conflits des dernières décennies. La croissance économique, le développement social s'accompagnent d'autres facteurs : baisse des indices de fécondité, donc familles plus faciles à élever, augmentation des espérances de vie (elle a plus que doublé dans les pays arabes du Golfe -plus 18 ans- et augmentée de seulement 8 ans en Afrique sub-saharienne).
Interdépendance économique et développement forment une première batterie de causes favorables.
Interdépendance politique, resserrement des bonnes relations entre États, en forme une deuxième batterie. Le monde compte deux fois plus de pays, ils entretiennent des liens politiques de plus en plus étroits : le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a rappelé récemment qu'en 1960, l'ONU ne comptait que 99 États membres dont quatre pays africains contre 192 aujourd'hui. Le système international onusien a développé ses interventions, en particulier, depuis la fin de la guerre froide. Cette intervention, tant en amont que en aval des conflits a joué un rôle également considérable, pour diminuer le nombre des conflits et pour alléger les coûts humains de ceux-ci. Certes, on a l'habitude de pointer davantage les difficultés des Nations unies à enrayer tel ou tel conflit, ou à trouver rapidement une issue positive à telle ou telle situation, mais on évoque rarement les situations dramatiques qui existeraient si cette intervention n'existait pas. À noter que, depuis la fin de la guerre froide, l'augmentation du niveau, de la portée et de l'efficacité de l'aide humanitaire aux populations touchées par la guerre dans les pays en conflit, ont réduit le nombre de morts de manière significative, amélioré la vie des survivants et blessés, la vie des réfugiés.
L'implication considérable des ONG, le nombre des pays engagés dans des dispositifs divers pré et post-conflits, créent ainsi une interdépendance politique nouvelle au niveau mondial.
Ces évolutions au niveau économique, au niveau politique voient des évolutions parallèles au niveau de l'évolution des mentalités et des esprits. L'auteur du site Hérodote.net souligne l'écart existant entre l'évolution réelle des conflits et de leurs victimes dans le monde qui est en baisse, et l'impression subjective que l'opinion éprouve d'une violence sans pareille... "Sans doute sommes-nous d'autant plus sensibles à la violence que celle-ci est devenue plus rare (paradoxe mis en lumière par Tocqueville à propos des droits féodaux : ceux-ci n'ont plus été tolérés à partir du moment où ils étaient devenus marginaux).". Ce rejet croissant de la violence du monde est sans doute lié aussi à une forme de saturation médiatique ? Jour après jour, les journaux et la télévision doivent remplir leurs pages et leurs tranches d'actualités d'événements spectaculaires, ce qui aboutit à survaloriser le moindre affrontement dans un pays, sans échelle de proportions raisonnable... En même temps, la diffusion de l'information est devenue mondialisée, accélérée par les nouveaux outils de communication (télévision satellite, internet) et les réseaux sociaux qui se développent (Facebook, Twitter). C'est la naissance d'une nouvelle interdépendance, celle des esprits, des cerveaux des citoyens/citoyennes !
Les réactions des opinions publiques prennent ainsi du poids et peuvent influencer en partie les interventions des États démocratiques. Or, ceux-ci sont d'ailleurs de plus en plus nombreux puisque le pourcentage de pays dotés de gouvernements élus dans des systèmes électoraux démocratiques a doublé entre 1950 et 2008, de 29 % à 58 %.
Cette interdépendance plus grande des esprits ne peut que réjouir ceux qui luttent pour "élever les barrières de la paix dans l'esprit des hommes" selon le préambule constitutif de l'UNESCO. Certes, chacun sait que le chemin pour promouvoir une culture de paix mondiale sera long...
Notons, à ce sujet, que l'Assemblée générale des Nations unies a fait le point le 29 octobre dernier de la "Mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action en faveur d’une culture de paix" et que, dans la résolution votée, elle incite l’UNESCO à examiner la possibilité de constituer un fonds spécial pour financer des projets de pays relatifs à la culture de paix et incite la Commission de consolidation de la paix (CCP) à continuer de promouvoir cette culture de paix dans ses initiatives post-conflit.
Bien sûr, ces évolutions sont des tendances. Ainsi, la réalisation des Objectifs du Millénaire pour l'éradication de la pauvreté rencontre des obstacles : ceux-ci peuvent mettre en cause la crédibilité des Nations unies. L'interdépendance économique peut inciter des grandes puissances à décider que le contrôle des matières premières qui leur sont nécessaires est un enjeu national de sécurité, et donc à utiliser la menace militaire. Les dispositifs de prévention des conflits se heurtent aux enjeux de puissance locaux comme le montre la situation en Côte d'Ivoire. La promotion de la culture de paix peut être entravée par de nouvelles craintes, nées des migrations, des modifications des pratiques culturelles ou religieuses qu'elles entraînent... Mais, je pense que les grandes tendances sont au développement d'un monde de plus en plus interdépendant, avec les nouvelles approches qui doivent en découler. Le débat est ouvert...
Dans ce débat, on peut mettre également l'appréciation du bilan à faire, des efforts de promotion de la Culture de paix après la décennie 2001-2010 qui lui était consacrée ? C'est ce que nous examinerons sans doute au début de l'année... prochaine.
27 décembre 2010
Ce blog est dédié aux problématiques de la paix et du désarmement, des institutions internationales (ONU, OTAN), à la promotion d'une culture de la paix. Textes sous license Creative Commons by-nc-sa
lundi 27 décembre 2010
mardi 21 décembre 2010
Sécurité humaine : un monde moins meurtrier ? (2)
j'évoquais dans un précédent article les évolutions vers la recherche, non seulement d'une sécurité globale au niveau des États, mais aussi d'une sécurité humaine, englobant la sûreté des individus eux-mêmes.
Dans quel contexte interviennent ces évolutions positives ? Les conflits, les guerres, les violences qui les accompagnent, sont-ils en croissance ou non, les conséquences plus meurtrières ou non ?
Un article récent du site d'histoire français Hérodote apporte un élément de réflexion intéressant. Il fait remarquer que 2001-2010 représente "la décennie la moins violente depuis 1840" alors que la vision quotidienne du journal télévisé produit parfois le sentiment que tout va de plus en mal, dans un monde de plus en plus meurtrier.. Il prend en compte seulement le nombre de décès directement imputables à la violence guerrière. Pour lui, en prenant en considération les importantes incertitudes sur les recensements des victimes, les conflits et drames de la décennie (notamment Irak, Darfour, Afghanistan, Congo), si intolérables soient-ils, aboutissent tous comptes faits en 2001-2010 à moins d'un million de morts au total. Pour l'auteur de l'étude, les décennies précédentes ont connu toutes, à chaque fois, un total supérieur à un million de morts (deux millions de morts ou davantage dans la plupart des cas, y compris les années 1990).
Un statut particulier revient au tiers de siècle 1914-1947 qui est la période la plus meurtrière de toute l'Histoire de l'humanité avec 100 à 200 millions de morts violentes sur 2 milliards d'êtres vivants, soit un taux exceptionnel de 5 à 10% de tués en l'espace d'une génération.
Selon cette étude, "il faut en définitive remonter aux années 1815-1840 pour discerner un niveau de violence internationale aussi bas qu'aujourd'hui (environ un million de victimes par décennie). En effet, après les guerres napoléoniennes (1 million de morts rien qu'en Europe, de 1804 à 1814), le monde n'a plus affaire qu'à des conflits mineurs, modérément meurtriers" (Amérique latine, Grèce, Serbie) jusqu'aux années 1840 (début des guerres en Chine, puis la guerre de Sécession aux États-Unis, le début de nouvelles guerres coloniales).
Dernière remarque à prendre en compte, les chiffres de victimes des dernières décennies se rapportent à une population mondiale de 6,5 milliards d'êtres humains, tandis que les guerres napoléoniennes ou la guerre de Sécession se rapportaient à seulement un milliard d'êtres humains.
Un récent rapport du "Projet sur la sécurité humaine" de l'université canadienne Simon Fraser étudie l'évolution des conflits, de leur intensité, de leurs causes dans les trois dernières décennies et ses conclusions vont plutôt dans le même sens que cet article de Hérodote. Pour lui, les tendances à long terme sont la réduction des risques tant des guerres civiles qu'inter-étatiques, bien que des tendances existent indiquant que le monde pourrait devenir plus dangereux du fait de la hausse de la violence islamiste, de la "rigidité" des conflits qui subsistent, et de l'impact difficile à mesurer de la crise économique sur les pays en développement.
La période étudiée est plus limitée que celle d'Hérodote puisqu'elle recouvre les trente dernières années. Ainsi, le précédent rapport de ce centre de recherches en 2005, montre que le nombre de conflits armés avait diminué de plus de 40% depuis 1992. Les conflits les plus meurtriers (ceux avec 1000 décès ou plus dans des combats) ont connu une baisse radicale de 80%. Le nombre de crises internationales, souvent messagères de guerre, a baissé de plus de 70% entre 1981 et 2001. Les guerres inter-étatiques sont plus rares que dans des périodes précédentes et représentent maintenant moins de 5% de tous les conflits armés.
Les causes les plus importantes de décès ne proviennent pas de combats réels, mais de la maladie et de la malnutrition aggravées par les conflits. Ces décès "indirects" représentent pas moins de 90% des victimes recensées dans ces crises.
Les auteurs du rapport estiment qu'il y a eu trois grands changements du contexte international qui éclairent pour une large part ces évolutions :
- la fin du colonialisme : du début des années 50 au début des années 80, les guerres coloniales ont fourni 60-100% de tous les conflits internationaux selon les années.
- la fin de la guerre froide, qui avait produit approximativement un tiers de tous les conflits de l'après-Seconde Guerre mondiale. La menace de guerre entre les deux "grands" a disparu ainsi que les « guerres par procuration » qu'ils se menaient dans les pays en voie de développement.
- la croissance sans précédent des activités internationales conçues pour arrêter ou prévenir les guerres, notamment grâce aux activités de l'ONU. Les missions de diplomatie préventive de l'ONU ont été multipliées par six, les missions de rétablissement de la paix par quatre, les opérations de paix post-conflits par quatre également, l'augmentation par onze du nombre d'États soumis à des sanctions de l'ONU, pour faire pressions sur des négociations ou prévenir un conflit. Il faut ajouter le développement sans précédent de l'action des ONG humanitaires, de développement qui limitent le nombre des victimes, notamment des victimes "annexes" (de maladie, d'épidémie, de blessures).
Ces chiffres ne diminuent en rien l'inacceptabilité du nombre énorme de victimes des conflits actuels ni l'urgence des initiatives pour l'éradication totale des guerres dans le monde. Mais ces réflexions ont le mérite de nous faire prendre un peu de recul pour ne pas oublier quelques grandes évolutions de ces dernières décennies. Il est parfois bon de voir que notre action militante quotidienne s'inscrit dans une évolution positive de l'humanité. Maintenant, d'autres questions très importantes sont pendantes : quelles autres explications apporter à la baisse des conflits et de la violence ? Quelles "raisons de la paix" ? Cette baisse est-elle une tendance irréversible ? Quelles menaces subsistent, pouvant la remettre en cause et refaire exploser la violence du monde ? Nous y reviendrons dans un prochain article....
21 décembre 2010
Dans quel contexte interviennent ces évolutions positives ? Les conflits, les guerres, les violences qui les accompagnent, sont-ils en croissance ou non, les conséquences plus meurtrières ou non ?
Un article récent du site d'histoire français Hérodote apporte un élément de réflexion intéressant. Il fait remarquer que 2001-2010 représente "la décennie la moins violente depuis 1840" alors que la vision quotidienne du journal télévisé produit parfois le sentiment que tout va de plus en mal, dans un monde de plus en plus meurtrier.. Il prend en compte seulement le nombre de décès directement imputables à la violence guerrière. Pour lui, en prenant en considération les importantes incertitudes sur les recensements des victimes, les conflits et drames de la décennie (notamment Irak, Darfour, Afghanistan, Congo), si intolérables soient-ils, aboutissent tous comptes faits en 2001-2010 à moins d'un million de morts au total. Pour l'auteur de l'étude, les décennies précédentes ont connu toutes, à chaque fois, un total supérieur à un million de morts (deux millions de morts ou davantage dans la plupart des cas, y compris les années 1990).
Un statut particulier revient au tiers de siècle 1914-1947 qui est la période la plus meurtrière de toute l'Histoire de l'humanité avec 100 à 200 millions de morts violentes sur 2 milliards d'êtres vivants, soit un taux exceptionnel de 5 à 10% de tués en l'espace d'une génération.
Selon cette étude, "il faut en définitive remonter aux années 1815-1840 pour discerner un niveau de violence internationale aussi bas qu'aujourd'hui (environ un million de victimes par décennie). En effet, après les guerres napoléoniennes (1 million de morts rien qu'en Europe, de 1804 à 1814), le monde n'a plus affaire qu'à des conflits mineurs, modérément meurtriers" (Amérique latine, Grèce, Serbie) jusqu'aux années 1840 (début des guerres en Chine, puis la guerre de Sécession aux États-Unis, le début de nouvelles guerres coloniales).
Dernière remarque à prendre en compte, les chiffres de victimes des dernières décennies se rapportent à une population mondiale de 6,5 milliards d'êtres humains, tandis que les guerres napoléoniennes ou la guerre de Sécession se rapportaient à seulement un milliard d'êtres humains.
Un récent rapport du "Projet sur la sécurité humaine" de l'université canadienne Simon Fraser étudie l'évolution des conflits, de leur intensité, de leurs causes dans les trois dernières décennies et ses conclusions vont plutôt dans le même sens que cet article de Hérodote. Pour lui, les tendances à long terme sont la réduction des risques tant des guerres civiles qu'inter-étatiques, bien que des tendances existent indiquant que le monde pourrait devenir plus dangereux du fait de la hausse de la violence islamiste, de la "rigidité" des conflits qui subsistent, et de l'impact difficile à mesurer de la crise économique sur les pays en développement.
La période étudiée est plus limitée que celle d'Hérodote puisqu'elle recouvre les trente dernières années. Ainsi, le précédent rapport de ce centre de recherches en 2005, montre que le nombre de conflits armés avait diminué de plus de 40% depuis 1992. Les conflits les plus meurtriers (ceux avec 1000 décès ou plus dans des combats) ont connu une baisse radicale de 80%. Le nombre de crises internationales, souvent messagères de guerre, a baissé de plus de 70% entre 1981 et 2001. Les guerres inter-étatiques sont plus rares que dans des périodes précédentes et représentent maintenant moins de 5% de tous les conflits armés.
Les causes les plus importantes de décès ne proviennent pas de combats réels, mais de la maladie et de la malnutrition aggravées par les conflits. Ces décès "indirects" représentent pas moins de 90% des victimes recensées dans ces crises.
Les auteurs du rapport estiment qu'il y a eu trois grands changements du contexte international qui éclairent pour une large part ces évolutions :
- la fin du colonialisme : du début des années 50 au début des années 80, les guerres coloniales ont fourni 60-100% de tous les conflits internationaux selon les années.
- la fin de la guerre froide, qui avait produit approximativement un tiers de tous les conflits de l'après-Seconde Guerre mondiale. La menace de guerre entre les deux "grands" a disparu ainsi que les « guerres par procuration » qu'ils se menaient dans les pays en voie de développement.
- la croissance sans précédent des activités internationales conçues pour arrêter ou prévenir les guerres, notamment grâce aux activités de l'ONU. Les missions de diplomatie préventive de l'ONU ont été multipliées par six, les missions de rétablissement de la paix par quatre, les opérations de paix post-conflits par quatre également, l'augmentation par onze du nombre d'États soumis à des sanctions de l'ONU, pour faire pressions sur des négociations ou prévenir un conflit. Il faut ajouter le développement sans précédent de l'action des ONG humanitaires, de développement qui limitent le nombre des victimes, notamment des victimes "annexes" (de maladie, d'épidémie, de blessures).
Ces chiffres ne diminuent en rien l'inacceptabilité du nombre énorme de victimes des conflits actuels ni l'urgence des initiatives pour l'éradication totale des guerres dans le monde. Mais ces réflexions ont le mérite de nous faire prendre un peu de recul pour ne pas oublier quelques grandes évolutions de ces dernières décennies. Il est parfois bon de voir que notre action militante quotidienne s'inscrit dans une évolution positive de l'humanité. Maintenant, d'autres questions très importantes sont pendantes : quelles autres explications apporter à la baisse des conflits et de la violence ? Quelles "raisons de la paix" ? Cette baisse est-elle une tendance irréversible ? Quelles menaces subsistent, pouvant la remettre en cause et refaire exploser la violence du monde ? Nous y reviendrons dans un prochain article....
21 décembre 2010
lundi 13 décembre 2010
Sécurité humaine : une longue quête (1)
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a nommé un diplomate japonais, M. Yukio Takasu au poste de conseiller spécial pour la "sécurité humaine". Animateur d'un réseau informel, les Amis de la sécurité humaine « Friends of Human Security » (FHS) depuis 2005, il sera chargé de mener des consultations avec les États Membres, les organisations du système de l'ONU afin de faciliter une "compréhension commune du concept de sécurité humaine". En débat depuis près de vingt ans, ce concept de "sécurité humaine" a connu cette année deux impulsions : l'Assemblée Générale des Nations Unies a tenu les 21 et 22 mai 2010 un débat en séance plénière sur cette question. Le 28 juillet, elle a adopté un projet de résolution sur la sécurité humaine présenté par le Japon et par laquelle elle prend note du premier débat formel sur cette notion et elle "reconnaît la nécessité de poursuivre le débat et de parvenir à un accord sur cette définition à l’Assemblée générale" et prie le Secrétaire général de solliciter les vues des États Membres et de lui faire rapport dans un an.
On constate donc tout à la fois un débat qui continue et s'approfondit très lentement mais qui soulève des questions difficiles entre les États. Pourquoi ?
Adoptée comme principe de politique étrangère par certains pays (Canada, Norvège, Japon), la sécurité humaine demeure en effet un concept encore flou et objet de débats bien que ce thème ne soit pas nouveau.
La première définition de la sécurité humaine est fournie par le rapport du PNUD sur le développement humain de 1994. Partant du constat que « pour la plupart des gens, un sentiment d’insécurité surgit davantage des craintes engendrées par la vie quotidienne que par un événement apocalyptique mondial », le rapport invite à prendre pour objectif de la sécurité l’individu et non plus l’Etat et penser la sécurité aussi bien à l’intérieur des frontières qu’à l’extérieur. L’approche du PNUD revient à établir une liste de sept domaines classés comme autant d’enjeux sécuritaires : sécurités économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle, collective et politique. Déjà en 1992, à l’initiative du Secrétaire général des Nations unies de l’époque, Boutros Boutros-Ghali, l’adoption d’un Agenda pour la paix avait aussi marqué un tournant. Il affirmait que « pauvreté, maladie, famine, oppression et désespoir (…) sont à la fois la source et la conséquence des conflits » et constituent « l’absolue priorité » des efforts de l’ONU. Son successeur, Kofi Annan, réaffirma cette démarche en 1998 dans deux de ses rapports.
En 1997, le ministre des Affaires étrangères canadien, Lloyd Axworthy, fait la promotion d’une « stratégie politique internationale qui devrait inclure la sécurité humaine », où la sécurité de l’individu devenait le « nouvel étalon de mesure de la sécurité mondiale ». Selon cette approche les organisations internationales, créées par les Etats afin d’établir un ordre mondial juste et pacifique, et au premier chef l’ONU dans son rôle de gardien de la paix et de la sécurité internationales que lui confère sa Charte, doivent répondre aux besoins des personnes en matière de sécurité.
L’idée de sécurité humaine est apparue ainsi dans les années 90 dans un contexte nouveau. En effet, à la fin de la Guerre froide, la sécurité des Etats s’était améliorée tandis que celle des populations n’avait cessé de se dégrader. Alors qu’il s’agissait auparavant de préserver l’intégrité territoriale et la souveraineté politique contre les agressions externes, les civils se trouvaient désormais projetés au centre des conflits contemporains. De plus en plus de conflits armés prenaient en effet la forme de guerres civiles, dans lesquelles huit victimes sur dix étaient des non combattants. Ce phénomène était dû en grande partie à la perte de capacité et d’autorité des États, incapables d’assurer la sécurité élémentaire des individus. La réflexion se développa aussi suite au double échec de la communauté internationale, au Rwanda en 1994 et dans le nord Kosovo en 1999 - cette dernière crise ayant vu l’intervention unilatérale et illégale de l’OTAN. Cette situation venait du fait que l’ONU de son côté s’avérait incapable de trouver un consensus sur le « droit d’intervention humanitaire », une des questions les plus controversées de la décennie 1990. « Si l’intervention humanitaire constitue une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains ? », interrogeait alors Kofi Annan.
Dans cette réflexion, la notion de sécurité humaine fournit un cadre conceptuel dans lequel il est possible de réexaminer la souveraineté des États. La sécurité humaine oblige l’Etat à envisager une souveraineté tournée "vers l’intérieur", c’est à dire "vers les individus" qui lui confèrent sa légitimité. Elaborée par la commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats, la notion de "responsabilité de protéger" et non plus "l'ingérence humanitaire" s’impose comme le corollaire de la sécurité humaine. Ces deux concepts ont été incorporés au document final du Sommet mondial de l’ONU de septembre 2005.
Dans le Document final adopté le 7 septembre 2005, les Etats membres réaffirment les objectifs du Millénaire, condamnent le terrorisme, décident d'instituer une Commission de consolidation de la paix, reconnaissent la responsabilité internationale de protéger les populations contre les génocides, souhaitent réformer le Conseil de sécurité et conviennent de créer un Conseil des droits de l'homme. Les Etats membres reconnaissent avoir la « responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité » lorsque les États ne sont pas disposés ou en mesure de le faire, au besoin en ayant recours à la force.
Le fonctionnement de nouveaux organes internationaux, tels la Cour pénale internationale, la Commission de la consolidation de la paix, le Conseil des droits de l’homme va induire progressivement ces cinq dernières années des réflexions plus concrètes qui font que maintenant, la question est de préciser, exactement, le sens du concept de sécurité humaine, car il devient, de fait, opérationnel dans de nombreux domaines internationaux.
Des réticences existent encore, notamment de la part de pays du Sud qui considèrent la sécurité humaine comme un nouveau critère visant à justifier l’imposition de modèles occidentaux, alors que le concept n'est pas vraiment appliqué à l’intérieur même des pays occidentaux. Cette critique en rejoint d'autres pour qui, le flou qui entoure encore la notion de sécurité humaine, sert les intérêts de ses promoteurs en soudant des acteurs très différents autour d’objectifs qui le sont tout autant. La sécurité humaine apparaît alors essentiellement comme un outil politique, qui peut être manipulé par certaines puissances.
D'un autre côté, la sécurité humaine n'est-elle pas un des moyens de remettre directement les préoccupations des peuples, le souci de la sécurité de tous et de chacun au centre des préocuupations de la communauté internationale, sans se cacher derrière la souveraineté de soit-disants représentants non élus, corompus, dictatoriaux ?
Cela suppose évidemment une ONU renforcée, démocratique, à la légitimité non contestée.
Le Parlement européen, dans un voeu voté fin septembre 2005, avait bien noté que le soutien à la sécurité humaine passait par un "engagement en faveur d'une ONU forte, rappelant qu'un multilatéralisme authentique constitue l'outil le plus approprié pour relever les défis, résoudre les problèmes et éloigner les menaces auxquels la communauté internationale est confrontée". Sécurité humaine et multilatéralisme sont liés, au risque sinon de permettre des instrumentalisations douteuses.
Le contexte de 2010 n'est pas celui de 2005, ni a fortiori de 1994 : il est sans doute plus favorable à la paix, à la place de l'ONU. Un récent rapport du Projet sur la sécurité humaine de l'université canadienne Simon Fraser étudie l'évolution des conflits, de leur intensité, de leurs causes dans ces dernières décennies. Les évolutions sont notables : nous y reviendrons dans un prochain article.
lundi 13 décembre 2010
On constate donc tout à la fois un débat qui continue et s'approfondit très lentement mais qui soulève des questions difficiles entre les États. Pourquoi ?
Adoptée comme principe de politique étrangère par certains pays (Canada, Norvège, Japon), la sécurité humaine demeure en effet un concept encore flou et objet de débats bien que ce thème ne soit pas nouveau.
La première définition de la sécurité humaine est fournie par le rapport du PNUD sur le développement humain de 1994. Partant du constat que « pour la plupart des gens, un sentiment d’insécurité surgit davantage des craintes engendrées par la vie quotidienne que par un événement apocalyptique mondial », le rapport invite à prendre pour objectif de la sécurité l’individu et non plus l’Etat et penser la sécurité aussi bien à l’intérieur des frontières qu’à l’extérieur. L’approche du PNUD revient à établir une liste de sept domaines classés comme autant d’enjeux sécuritaires : sécurités économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, personnelle, collective et politique. Déjà en 1992, à l’initiative du Secrétaire général des Nations unies de l’époque, Boutros Boutros-Ghali, l’adoption d’un Agenda pour la paix avait aussi marqué un tournant. Il affirmait que « pauvreté, maladie, famine, oppression et désespoir (…) sont à la fois la source et la conséquence des conflits » et constituent « l’absolue priorité » des efforts de l’ONU. Son successeur, Kofi Annan, réaffirma cette démarche en 1998 dans deux de ses rapports.
En 1997, le ministre des Affaires étrangères canadien, Lloyd Axworthy, fait la promotion d’une « stratégie politique internationale qui devrait inclure la sécurité humaine », où la sécurité de l’individu devenait le « nouvel étalon de mesure de la sécurité mondiale ». Selon cette approche les organisations internationales, créées par les Etats afin d’établir un ordre mondial juste et pacifique, et au premier chef l’ONU dans son rôle de gardien de la paix et de la sécurité internationales que lui confère sa Charte, doivent répondre aux besoins des personnes en matière de sécurité.
L’idée de sécurité humaine est apparue ainsi dans les années 90 dans un contexte nouveau. En effet, à la fin de la Guerre froide, la sécurité des Etats s’était améliorée tandis que celle des populations n’avait cessé de se dégrader. Alors qu’il s’agissait auparavant de préserver l’intégrité territoriale et la souveraineté politique contre les agressions externes, les civils se trouvaient désormais projetés au centre des conflits contemporains. De plus en plus de conflits armés prenaient en effet la forme de guerres civiles, dans lesquelles huit victimes sur dix étaient des non combattants. Ce phénomène était dû en grande partie à la perte de capacité et d’autorité des États, incapables d’assurer la sécurité élémentaire des individus. La réflexion se développa aussi suite au double échec de la communauté internationale, au Rwanda en 1994 et dans le nord Kosovo en 1999 - cette dernière crise ayant vu l’intervention unilatérale et illégale de l’OTAN. Cette situation venait du fait que l’ONU de son côté s’avérait incapable de trouver un consensus sur le « droit d’intervention humanitaire », une des questions les plus controversées de la décennie 1990. « Si l’intervention humanitaire constitue une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’êtres humains ? », interrogeait alors Kofi Annan.
Dans cette réflexion, la notion de sécurité humaine fournit un cadre conceptuel dans lequel il est possible de réexaminer la souveraineté des États. La sécurité humaine oblige l’Etat à envisager une souveraineté tournée "vers l’intérieur", c’est à dire "vers les individus" qui lui confèrent sa légitimité. Elaborée par la commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats, la notion de "responsabilité de protéger" et non plus "l'ingérence humanitaire" s’impose comme le corollaire de la sécurité humaine. Ces deux concepts ont été incorporés au document final du Sommet mondial de l’ONU de septembre 2005.
Dans le Document final adopté le 7 septembre 2005, les Etats membres réaffirment les objectifs du Millénaire, condamnent le terrorisme, décident d'instituer une Commission de consolidation de la paix, reconnaissent la responsabilité internationale de protéger les populations contre les génocides, souhaitent réformer le Conseil de sécurité et conviennent de créer un Conseil des droits de l'homme. Les Etats membres reconnaissent avoir la « responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité » lorsque les États ne sont pas disposés ou en mesure de le faire, au besoin en ayant recours à la force.
Le fonctionnement de nouveaux organes internationaux, tels la Cour pénale internationale, la Commission de la consolidation de la paix, le Conseil des droits de l’homme va induire progressivement ces cinq dernières années des réflexions plus concrètes qui font que maintenant, la question est de préciser, exactement, le sens du concept de sécurité humaine, car il devient, de fait, opérationnel dans de nombreux domaines internationaux.
Des réticences existent encore, notamment de la part de pays du Sud qui considèrent la sécurité humaine comme un nouveau critère visant à justifier l’imposition de modèles occidentaux, alors que le concept n'est pas vraiment appliqué à l’intérieur même des pays occidentaux. Cette critique en rejoint d'autres pour qui, le flou qui entoure encore la notion de sécurité humaine, sert les intérêts de ses promoteurs en soudant des acteurs très différents autour d’objectifs qui le sont tout autant. La sécurité humaine apparaît alors essentiellement comme un outil politique, qui peut être manipulé par certaines puissances.
D'un autre côté, la sécurité humaine n'est-elle pas un des moyens de remettre directement les préoccupations des peuples, le souci de la sécurité de tous et de chacun au centre des préocuupations de la communauté internationale, sans se cacher derrière la souveraineté de soit-disants représentants non élus, corompus, dictatoriaux ?
Cela suppose évidemment une ONU renforcée, démocratique, à la légitimité non contestée.
Le Parlement européen, dans un voeu voté fin septembre 2005, avait bien noté que le soutien à la sécurité humaine passait par un "engagement en faveur d'une ONU forte, rappelant qu'un multilatéralisme authentique constitue l'outil le plus approprié pour relever les défis, résoudre les problèmes et éloigner les menaces auxquels la communauté internationale est confrontée". Sécurité humaine et multilatéralisme sont liés, au risque sinon de permettre des instrumentalisations douteuses.
Le contexte de 2010 n'est pas celui de 2005, ni a fortiori de 1994 : il est sans doute plus favorable à la paix, à la place de l'ONU. Un récent rapport du Projet sur la sécurité humaine de l'université canadienne Simon Fraser étudie l'évolution des conflits, de leur intensité, de leurs causes dans ces dernières décennies. Les évolutions sont notables : nous y reviendrons dans un prochain article.
lundi 13 décembre 2010
lundi 6 décembre 2010
OTAN : la difficile justification existentielle de Lisbonne
Le sommet que l'OTAN a tenu à Lisbonne et le nouveau "concept stratégique" adopté (la "ligne de conduite" des alliés pour les prochaines années) ont suscité beaucoup de commentaires sur les "perdants" et les gagnants"... Deux semaines après, que peut-on en dégager ?
Concernant la question centrale de l'avenir des armes nucléaires, le concept stratégique adopté "engage l’OTAN sur l’objectif qui consiste à créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires – mais il reconfirme que, tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’OTAN restera une alliance nucléaire". Nous sommes bien au coeur de l'ambiguité actuelle des diplomaties des grandes puissances. la formule "tant que..., nous garderons des armes nucléaires" est remarquablement hypocrite car elle se traduit par un "puisqu'il y a des armes nucléaires, nous gardons les nôtres et on verra"...
En effet, on trouve bien sûr, dans ce même texte de l'OTAN, une formule apparemment très politiquement correcte : " Nous sommes déterminés à tendre vers un monde plus sûr pour tous et à créer les conditions d'un monde sans armes nucléaires, conformément aux objectifs du Traité sur la non prolifération des armes nucléaires, selon une approche qui favorise la stabilité internationale et se fonde sur le principe d'une sécurité non diminuée pour tous", qui rappelle les amendements français soutenus à New-York, en mai dernier à la conférence du TNP.
Mais que vaut cette formule, quand les alliés réaffirment ailleurs dans le texte que l'OTAN maintiendra des armes nucléaires en Europe (elle se contentera de chercher "à réunir les conditions pour de nouvelles réductions") : or, tous les experts reconnaissent que ces armes (des bombes nucléaires basés sur des bombardiers) n'ont aucune justification de dissuasion mais ont uniquement un rôle politique d'intimidation.
Deuxièmement, le texte réaffirme clairement deux volontés : "nous maintiendrons une combinaison appropriée de forces nucléaires et conventionnelles" et "nous alimenterons les budgets de défense aux niveaux nécessaires pour que nos forces armées aient des moyens suffisants". À Lisbonne, le processus de désarmement nucléaire relancé depuis un an a connu, sinon un coup d'arrêt, au minimum, une pause illustrée par cette fausse vérité de bon sens, formulée également dans le texte :"Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire". Certes, on ne pouvait guère attendre d'une alliance militaire qu'elle aille dans le sens du désarmement, il reviendra donc aux citoyens de transformer cette formule en "Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, les gouvernements doivent travailler à les éliminer complètement et partout dans le monde"...
La deuxième conclusion que je tire de la lecture du concept stratégique adopté par l'OTAN est un besoin considérable de trouver de nouvelles justifications à l'existence de cette alliance militaire qui n'a plus d'ennemi classique officiel, puisque celui qui était toujours désigné de fait, la Russie, assistait à la réunion. Pour justifier son existence, l'OTAN a donc élargi le champ des menaces en y mêlant pêle-mêle le terrorisme, la cybercriminalité et... la protection des voies d'approvisionnement énergétiques : pétrole, uranium, gaz, nous voilà prévenus....
Or, tous ces domaines devraient relever d'abord du renforcement de la coopération policière, judiciaire plus que du relèvement des moyens militaires nucléaires et conventionnels... Cette orientation apporte de l'eau aux moulins de ceux qui estiment que l’OTAN est aujourd’hui, moins une alliance militaire qu’un moyen de contrôle économique et politique par les Etats-Unis de leurs intérêts propres et de contrôle politique de leurs « alliés». Cette critique est renforcée par l'insistance mise par la déclaration affirmant que "l’UE est un partenaire unique et essentiel pour l’OTAN. Les deux organisations sont composées, en grande partie, des mêmes États, et tous leurs membres partagent les mêmes valeurs". L'OTAN enfonce le clou en répétant que "l'OTAN et l'UE peuvent et doivent jouer des rôles complémentaires et se renforcer mutuellement, en soutien de la paix et de la sécurité internationales" : ceci n'est pas sans poser question : une alliance militaire et un ensemble politique ne se situent pas vraiment sur le même plan. "Je t'embrasse pour mieux t'étouffer", dit le proverbe.
Les "signaux" politiques envoyés par le sommet de Lisbonne sont essentiellement négatifs : il est donc curieux d'entendre un des responsables des questions de défense au parti socialiste, M. Fabius, déclarer au Forum de la Presse diplomatique (contrairement à ce qu'autres dirigeants dont Martine Aubry, avait dit, lors du retour de la France de M. Sarkozy dans le commandement militaire de l'OTAN), "On ne ressortira pas du commandement" et ajouter simplement : "Nous demanderons que les deux exigences formulées par la France - un poids accru de notre pays dans les structures militaires et une défense européenne plus forte - soient satisfaites." On a du mal à voir là une politique alternative aux mauvais choix de Nicolas Sarkozy.
In fine, la principale mesure militaire concrète annoncée est la création d'un bouclier anti-missiles visant, quasi officiellement l'Iran, et, sans le dire, aussi la Chine. Cette décision n'est pas sans évoquer pour les Français la construction de la fameuse "ligne Maginot" qui devait constituer un mur infranchissable pour l'armée allemande. Là encore, outre le fait que le projet de bouclier antimissile sera particulièrement onéreux (plusieurs milliards d’euros) et d'une efficacité douteuse, des critiques font remarquer que la contribution financière des européens permettra de financer l’industrie militaire outre-atlantique au détriment de la recherche européenne et de notre propre tissu industriel. Cette course continue vers plus de dépenses militaires stériles a d'ailleurs été de nouveau condamnée par le Pape qui, en recevant l'ambassadeur du Japon, a réaffirmé le 27 novembre dernier qu'une "part des sommes allouées aux armes pourrait être réaffectée à des projets de développement économique et social, d’éducation et de santé. Cela contribuerait sans aucun doute à la stabilité intérieure des pays et à celle entre les peuples". Nos lecteurs savent qu'en 2009, 1.531 milliards de dollars ont été dépensés en armements dans le monde (+ 50% par rapport à 2000). Or, 15 milliards de dollars par an suffisent pour fournir de l’eau potable à tous les humains; 20 milliards pour éradiquer la faim et la malnutrition et 12 milliards pour éduquer tous les enfants.
Sans angélisme aucun, il y a là matière à réfléchir sur la réduction de la militarisation du monde, d'autant plus que le même sommet de l'OTAN a dû reconnaître que les solutions purement militaires étaient en échec : "les enseignements tirés des opérations de l’OTAN, en particulier en Afghanistan et dans les Balkans occidentaux, montrent à l’évidence qu’une approche globale – politique, civile et militaire – est indispensable pour une gestion de crise efficace". Le texte ajoute aussi "La meilleure façon de gérer un conflit, c’est d’éviter qu’il ne survienne". Nous avons envie de dire : "just do it !".
6 décembre 2010
Concernant la question centrale de l'avenir des armes nucléaires, le concept stratégique adopté "engage l’OTAN sur l’objectif qui consiste à créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires – mais il reconfirme que, tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’OTAN restera une alliance nucléaire". Nous sommes bien au coeur de l'ambiguité actuelle des diplomaties des grandes puissances. la formule "tant que..., nous garderons des armes nucléaires" est remarquablement hypocrite car elle se traduit par un "puisqu'il y a des armes nucléaires, nous gardons les nôtres et on verra"...
En effet, on trouve bien sûr, dans ce même texte de l'OTAN, une formule apparemment très politiquement correcte : " Nous sommes déterminés à tendre vers un monde plus sûr pour tous et à créer les conditions d'un monde sans armes nucléaires, conformément aux objectifs du Traité sur la non prolifération des armes nucléaires, selon une approche qui favorise la stabilité internationale et se fonde sur le principe d'une sécurité non diminuée pour tous", qui rappelle les amendements français soutenus à New-York, en mai dernier à la conférence du TNP.
Mais que vaut cette formule, quand les alliés réaffirment ailleurs dans le texte que l'OTAN maintiendra des armes nucléaires en Europe (elle se contentera de chercher "à réunir les conditions pour de nouvelles réductions") : or, tous les experts reconnaissent que ces armes (des bombes nucléaires basés sur des bombardiers) n'ont aucune justification de dissuasion mais ont uniquement un rôle politique d'intimidation.
Deuxièmement, le texte réaffirme clairement deux volontés : "nous maintiendrons une combinaison appropriée de forces nucléaires et conventionnelles" et "nous alimenterons les budgets de défense aux niveaux nécessaires pour que nos forces armées aient des moyens suffisants". À Lisbonne, le processus de désarmement nucléaire relancé depuis un an a connu, sinon un coup d'arrêt, au minimum, une pause illustrée par cette fausse vérité de bon sens, formulée également dans le texte :"Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire". Certes, on ne pouvait guère attendre d'une alliance militaire qu'elle aille dans le sens du désarmement, il reviendra donc aux citoyens de transformer cette formule en "Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, les gouvernements doivent travailler à les éliminer complètement et partout dans le monde"...
La deuxième conclusion que je tire de la lecture du concept stratégique adopté par l'OTAN est un besoin considérable de trouver de nouvelles justifications à l'existence de cette alliance militaire qui n'a plus d'ennemi classique officiel, puisque celui qui était toujours désigné de fait, la Russie, assistait à la réunion. Pour justifier son existence, l'OTAN a donc élargi le champ des menaces en y mêlant pêle-mêle le terrorisme, la cybercriminalité et... la protection des voies d'approvisionnement énergétiques : pétrole, uranium, gaz, nous voilà prévenus....
Or, tous ces domaines devraient relever d'abord du renforcement de la coopération policière, judiciaire plus que du relèvement des moyens militaires nucléaires et conventionnels... Cette orientation apporte de l'eau aux moulins de ceux qui estiment que l’OTAN est aujourd’hui, moins une alliance militaire qu’un moyen de contrôle économique et politique par les Etats-Unis de leurs intérêts propres et de contrôle politique de leurs « alliés». Cette critique est renforcée par l'insistance mise par la déclaration affirmant que "l’UE est un partenaire unique et essentiel pour l’OTAN. Les deux organisations sont composées, en grande partie, des mêmes États, et tous leurs membres partagent les mêmes valeurs". L'OTAN enfonce le clou en répétant que "l'OTAN et l'UE peuvent et doivent jouer des rôles complémentaires et se renforcer mutuellement, en soutien de la paix et de la sécurité internationales" : ceci n'est pas sans poser question : une alliance militaire et un ensemble politique ne se situent pas vraiment sur le même plan. "Je t'embrasse pour mieux t'étouffer", dit le proverbe.
Les "signaux" politiques envoyés par le sommet de Lisbonne sont essentiellement négatifs : il est donc curieux d'entendre un des responsables des questions de défense au parti socialiste, M. Fabius, déclarer au Forum de la Presse diplomatique (contrairement à ce qu'autres dirigeants dont Martine Aubry, avait dit, lors du retour de la France de M. Sarkozy dans le commandement militaire de l'OTAN), "On ne ressortira pas du commandement" et ajouter simplement : "Nous demanderons que les deux exigences formulées par la France - un poids accru de notre pays dans les structures militaires et une défense européenne plus forte - soient satisfaites." On a du mal à voir là une politique alternative aux mauvais choix de Nicolas Sarkozy.
In fine, la principale mesure militaire concrète annoncée est la création d'un bouclier anti-missiles visant, quasi officiellement l'Iran, et, sans le dire, aussi la Chine. Cette décision n'est pas sans évoquer pour les Français la construction de la fameuse "ligne Maginot" qui devait constituer un mur infranchissable pour l'armée allemande. Là encore, outre le fait que le projet de bouclier antimissile sera particulièrement onéreux (plusieurs milliards d’euros) et d'une efficacité douteuse, des critiques font remarquer que la contribution financière des européens permettra de financer l’industrie militaire outre-atlantique au détriment de la recherche européenne et de notre propre tissu industriel. Cette course continue vers plus de dépenses militaires stériles a d'ailleurs été de nouveau condamnée par le Pape qui, en recevant l'ambassadeur du Japon, a réaffirmé le 27 novembre dernier qu'une "part des sommes allouées aux armes pourrait être réaffectée à des projets de développement économique et social, d’éducation et de santé. Cela contribuerait sans aucun doute à la stabilité intérieure des pays et à celle entre les peuples". Nos lecteurs savent qu'en 2009, 1.531 milliards de dollars ont été dépensés en armements dans le monde (+ 50% par rapport à 2000). Or, 15 milliards de dollars par an suffisent pour fournir de l’eau potable à tous les humains; 20 milliards pour éradiquer la faim et la malnutrition et 12 milliards pour éduquer tous les enfants.
Sans angélisme aucun, il y a là matière à réfléchir sur la réduction de la militarisation du monde, d'autant plus que le même sommet de l'OTAN a dû reconnaître que les solutions purement militaires étaient en échec : "les enseignements tirés des opérations de l’OTAN, en particulier en Afghanistan et dans les Balkans occidentaux, montrent à l’évidence qu’une approche globale – politique, civile et militaire – est indispensable pour une gestion de crise efficace". Le texte ajoute aussi "La meilleure façon de gérer un conflit, c’est d’éviter qu’il ne survienne". Nous avons envie de dire : "just do it !".
6 décembre 2010
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