J'avais conclu mon article du 27 décembre dernier : Sécurité humaine : quelles raisons de la paix ? (3) par la nécessité de procéder à une évaluation du bilan des dix dernières années consacrées à la promotion de la Culture de la paix, mise en avant par l'A.G des Nations unies en 1998. Celle-ci inclut l'année 2000 "année internationale de la Culture de paix", la "Décennie 2001-2010 pour la promotion d'une culture de paix et de non-violence au profit des enfants du monde". Il faut rappeler que le cadre de la promotion de ce concept s'articule autour de huit "objectifs d'action" qui sont des "Mesures pour" 1/ renforcer une culture de la paix par l’éducation, 2/promouvoir le développement économique et social durable, 3/promouvoir le respect de tous les droits de l’homme, 4/assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, 5/favoriser la participation démocratique, 6/faire progresser la compréhension, la tolérance et la solidarité, 7/soutenir la communication participative et la libre circulation de l’information et des connaissances, 8/promouvoir la paix et la sécurité internationales.
Comme je l'indiquais en décembre, l'Assemblée générale des Nations unies a fait le point le 29 octobre dernier de la "Mise en oeuvre de la Déclaration et du Programme d’action en faveur d’une culture de paix". Sur le plan de la société civile, un groupe d'ONG, sous l'impulsion de l'ancien dirigeant de l'UNESCO et un des principaux promoteurs du concept de Culture de la paix, David Adams, a travaillé à un "Rapport de la société civile" () recensant les initiatives de 1054 ONG issues d'une centaine de pays sur les cinq continents, rapport qui a été remis au Secrétaire Général des Nations unies l'été dernier. La résolution d'évaluation officielle de l'Assemblée générale le mentionne et se félicite de l'implication des ONG, bien qu'il soit dommage que ce rapport n'ait pas été intégré comme document officiel dans la résolution. Dans chaque pays, les ONG ont fourni des évaluations nationales de leurs initatives (ce qu'ont fait en France notamment, le Mouvement de la paix, l'AFCDRP (collectivités locales) et la Coordination pour la Décennie).
Que disent ces évaluations ? La résolution de l'Assemblée Générale reste très prudente (plusieurs grandes puissances se sont désintéressées d'ailleurs de ce débat) : le point le plus positif reste que cette Résolution confirme que les objectifs de la Culture de la paix "constituent le mandat universel de la communauté internationale", que cette mise en oeuvre "vise à renforcer le mouvement mondial [pour une culture de paix]", et que pour l'UNESCO, "la promotion d'une Culture de la paix était l'expression de sa mission fondamentale".Cela signifie pour tous les acteurs qui oeuvrent pour la Culture de la paix que leur action est plus que jamais légitimée et "encouragée" par la communauté internationale. Au niveau concret, la résolution incite l’UNESCO à examiner la possibilité de constituer un fonds spécial pour financer des projets de pays relatifs à la culture de paix et incite la Commission de consolidation de la paix (CCP) à continuer de promouvoir cette culture de paix dans ses initiatives post-conflit, ce qui est une reconnaissance non-négligeable de la dimension des idées dans les conflits, avant et après. Enfin, la résolution invite expressément tous les États membres, "à prêter davantage d'attention à la célébration chaque année, le 21 septembre, de la Journée internationale de la paix", invitation sur laquelle ne manqueront pas de s'appuyer les auteurs d'initiatives lors de cette journée.
Le "Rapport mondial de la société civile" a pris le parti de fournir une appréciation à partir de chacun des "huit domaines d'action" évoqués plus haut. Il remarque que les ONG qui ont répondu (1054) ont travaillé en priorité sur le point "1/renforcer une culture de la paix par l’éducation", ensuite viennent dans les priorités, "6/faire progresser la compréhension, la tolérance et la solidarité", puis "3/promouvoir le respect de tous les droits de l’homme" et enfin "8/promouvoir la paix et la sécurité internationales". On voit tout de suite que ce sont les aspects sociétaux qui ont le plus vite et le plus facilement été appréhendés par les associations, suivant en cela le préambule de l'UNESCO, recommandant "d'élever les barrières de la paix dans l'esprit des hommes". Effectivement, on a vu se développer dans le monde et cela est vrai pour la France, les initiatives d'éducation pour la paix, que la création de la Journée de la paix du 21 septembre a souvent favorisée. Il faut noter que déjà, l'année 2000 avait été marquée par ce type d'initiatives, au delà de la signature par 75 millions de terriens du "Manifeste" de la culture de paix. On peut mettre, dans ce courant, la création de l'AIEP (Association internationale des éducateurs à la paix) à l'initiative du français Jean Ridoux, la création et le travail fourni par la Fondation pour la Culture de paix, créée en Espagne par Federico Mayor.
Il faut mettre au crédit des efforts menés sur ces domaines d'action les initiatives prises par l'UNESCO dans le cadre de "l'Alliance des civilisations" et du "Dialogue entre les cultures" et aussi, la décision de l'Assemblée Générale d'instituer en 2007, chaque 2 octobre, anniversaire de la naissance de Gandhi, une "Journée internationale de la non-violence".
Les initiatives pour "promouvoir la paix et la sécurité internationales" ont concerné près de 40 % des ONG qui ont participé à l'évaluation et le bilan mis en avant pour cette décennie est riche, puisqu'il faut y mettre le mouvement pour la signature du Traité d'interdiction des mines à sous-munitions, qui s'est appuyé sur le succès en 1997 de la Campagne pour l'interdiction des mines antipersonnel, le succès de la campagne pour la création du Tribunal pénal international. Concernant le désarmement nucléaire, le phénomène le plus positif de la décennie fut certainement la création et l'expansion des "Maires pour la paix" à l'initiative du maire d'Hiroshima, qui fédère aujourd'hui près de 4 000 villes dans le monde. Cette remobilisation des collectivités locales (animée en France par l'AFCDRP) pour la promotion d'une culture de paix, est un phénomène très prometteur, y compris dans le cadre de l'action pour "5/favoriser la participation démocratique". Les collectivités locales peuvent fournir une passerelle entre actions pour la culture de la paix et action pour une démocratie participative..
Le bilan de la décennie pour "promouvoir le respect de tous les droits de l’homme" et "assurer l’égalité entre les hommes et les femmes" est intéressant également. Au niveau institutionnel, la décennie a vu la création d'un nouveau Conseil des Droits de l'Homme à l'ONU ; au niveau de la société civile, de nouvelles campagnes ont vu le jour, avec la lutte contre la misère et pour la dignité, menée par ATD-Quart Monde international et la première journée mondiale syndicale pour le "travail décent" menée par la Confédération syndicale internationale (CSI) en 2008. Cette décennie a vu également de nouveaux progrès pour "l’égalité entre les hommes et les femmes" avec les actions menées au travers de la Marche mondiale des Femmes, les campagnes "contre la violence faite aux femmes" et, au plan institutionnel, par la création en juillet 2010, par l’Assemblée générale des Nations Unies de "ONU Femmes", qui sera une "entité" ou agence des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, dont la mise sur pied a été confiée à Michelle Bachelet, ex-dirigeante de l'Argentine.
Tant les ONG que le rapport officiel de l'ONU sont plus vagues ou discrets sur l'évaluation des résultats obtenus sur les points "2/promouvoir le développement économique et social durable" et "7/soutenir la communication participative et la libre circulation de l’information et des connaissances".
Les ONG soulignent la déception engendrée par les sommets sur le climat et le développement durable, l'Assemblée générale fait une "impasse" complète sur la question. Tout le monde a du mal à relier la campagne pour les Objectifs du Millénaire d'éradication de la pauvreté à celle pour promouvoir une Culture de la paix. Même "impasse" sur la question de l'information et de la communication participative dans le document officiel et même faiblesse du côté des ONG. Là encore, on constate une difficulté à relier le formidable développement des réseaux sociaux (style Facebook), d'internet en général, voire même de l'expansion du mouvement pour les logiciels "libres" à la promotion d'une Culture de la paix. Je reviendrais sur ces questions dans un prochain article. Par contre, on peut noter, dans les deux évaluations, la même conviction que les médias modernes devraient faire beaucoup plus pour promouvoir des valeurs de paix, de non-violence notamment en direction des jeunes.
Le bilan de ces dix années qui ont vu le nouveau concept de Culture de paix se frotter aux réalités du monde est un bilan contrasté : des progrès importants dans la prise en compte de la nécessité de développer l'éducation à la paix, avec des "marqueurs" en progrès comme la Journée de la paix du 21 septembre, une approche centrée sur les questions sociétales ou de mentalités (éducation, tolérance, droits humains, démocratie) ou plus classiquement de désarmement, mais qui a du mal à intégrer des dimensions plus sociales (développement économique et social) ou plus "sensibles" dans la société (participation démocratique, communication participative).
J'essaierai de revenir dans les prochains articles sur les obstacles à la prise en compte de ces derniers points, ainsi que sur les défis posés au mouvement pacifiste pour franchir une nouvelle étape dans la promotion d'une culture de paix.
Le 25 janvier 2010
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