lundi 22 octobre 2018

Cent ans après 1918 : quelles leçons ? III/III - Un monde dangereux ? La paix a des atouts, utilisons-les!


Depuis quinze ans, la course de vitesse entre « faiseurs de guerre » et « faiseurs de paix » bat son plein.
D'un côté, se construit un monde où les dépenses d’armement vont bientôt doubler les niveaux records du temps de la guerre froide, où la militarisation de zones sensibles comme dans le Golfe persique et l’Asie du sud-est, avec l’accumulation d’armes sophistiquées aux mains de régimes non-démocratiques, s’intensifie, et où, subsiste toujours la menace des armes nucléaires, et le risque de leur prolifération après la démonstration faite par la Corée du Nord.
Parallèlement, les campagnes d’opinion pour la paix de cette décennie ont été fortes : elles ont abouti à la création de la Cour pénale internationale, à un traité de contrôle du commerce illégal des armes, à la mobilisation autour de la COP21 (la Conférence de Paris sur les changements climatiques), enfin à la signature du TIAN, Traité d’interdiction des armes nucléaires. Ces avancées sont des indicateurs des potentialités du mouvement des peuples.
Mais aujourd’hui, nous sommes confrontés au défi que, non seulement, il ne faut pas lever le pied dans les luttes pour un monde de paix mais il est urgent de les renforcer. Il me semble que quatre directions d'actions sont essentielles.

1- Il est nécessaire de poursuivre et amplifier la démilitarisation des relations internationales, notamment le renforcement des traités de désarmement. Ne faut-il pas encore élargir et amplifier un grand courant d'opinion pour faire appliquer le traité d'interdiction des armes nucléaires, bloquer les tentatives de "guerre dans l'espace" et de "cyberguerre" ou de "guerre des robots", geler les dépenses d'armement et les ventes d'armes ?
Rappelons que la Charte de l'ONU, qui est la loi internationale, dit qu'il faut "favoriser l'établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde" (chapitre V, art 26).

2- Face à l'échec patent de toutes les solutions de forces, mises en oeuvre dans les conflits depuis 2001 (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie), donner absolument la priorité au règlement politique des problèmes internationaux, en donnant systématiquement la priorité à l'ONU sur les interventions unilatérales des États, est prioritaire. De nombreux chefs d'États, dont le Président français, ont insisté sur cette nécessité, à l'ouverture de la session de l'Assemblée générale de l'ONU en septembre dernier. Ne faut-il pas isoler davantage encore M. Donald Trump et son attaque en règle contre le multilatéralisme ?

3- Une mobilisation générale de l'opinion, des forces économiques est urgente pour réaliser, avant 2030, les objectifs mondiaux de développement durable, la réduction des inégalités pour finir d’éradiquer la faim, la maladie, l’absence d’éducation dans le monde, notamment en faveur des enfants et des femmes.

4- Ne faut-il pas exiger que soient mis en oeuvre systématiquement dans tous les programmes onusiens, dans les programmes éducatifs nationaux, des volets d'éducation à la paix, à la culture de la paix, à la non-violence pour battre les cultures de guerre et de domination.

Nous vivons une époque difficile mais passionnante, car jamais l’ homme n’a disposé d’autant d’outils (ONU et institutions, droit international, outils citoyens avec la révolution informationnelle) pour agir afin que les humains puissent VIVRE ET TRAVAILLER DIGNEMENT SUR UNE PLANÈTE DURABLE ET PACIFIÉE. Alors, "just, do it !".

Cent ans après 1918 : quelles leçons ? - II/III - 73 ans après 1945 : la résilience de la paix...

Alors que la 2e Guerre mondiale avait éclaté à peine plus de vingt ans après la fin de la 1ère, depuis 73 ans, malgré les affontements des deux blocs pendant la Guerre froide, malgré la création et l'accumulation d'armes toujours plus sophistiquées, le monde n'a pas connu de conflagration mondiale. Il s’est construit une forme de "résilience de la paix". Quelles explications peut-on apporter à ce phénomène ? De multiples raisons peuvent être avancées, j'en proposerai quelques unes.

1/ Cette "résilience de la paix" est inséparable du développement du système multilatéral depuis la fin de la seconde Guerre mondiale : "pas d'ONU, pas de paix".
En effet, si on regarde l’évolution du monde depuis 1945, on constate l’extraordinaire mouvement d’émancipation des peuples : de cinquante pays en 1945, nous sommes passés à 194 aujourd’hui, notamment grâce à la décolonisation.
Tous ces pays réussissent l’exploit de vivre ensemble sous un même toit, les Nations unies, avec des droits théoriquement égaux (un pays, une voix). Il s'agit d'un fait unique dans l'histoire humaine.

2/ C’est inséparable de la constitution progressive sur notre planète, n’en déplaise à Hubert Védrine qui conteste cette réalité, d’une communauté humaine, de plus en plus consciente, dans toute sa diversité : ONG, tissu associatif, mouvements sociaux. Cet ensemble, certes en voie de formation et encore balbutiant, s’est constitué largement grâce à l’existence du système multilatéral onusiens, en soutien ou parfois en opposition, mais toujours en relation avec celui-ci.

3/ C’est inséparable de la production, du développement d’un droit international englobant progressivement tous les secteurs de l’activité humaine,
Alors qu’avant 1945, n’existaient que quelques accords humanitaires (Croix-rouge) et un début d’accord sur le travail (OIT), aujourd’hui, des dizaines d’organismes, des centaines d’accords, de conventions, de traités mondiaux, régionaux, bilatéraux, essaient de gérer les problèmes entre les États, ou entre les humains (FAO, UNICEF, UNRWA pour les réfugiés, PNUD, OMS, etc.).
Le droit international, assis sur la Charte des Nations unies, produit par ces traités divers, progresse régulièrement et s’étend à tous les domaines de la vie. Mais surtout, les opinions publiques, par le biais des ONG, des médias, pèsent de plus en plus sur certains problèmes, leur résolution, leur réglementation, comme nous l’avons vu au moment de la COP21. Depuis, les années 1990, la notion de "droits humains" (pour les enfants, les femmes, le développement) est un élément incontournable des débats du monde. La journée internationale de la paix du 21 septembre dernier a lancé l'idée d'un "droit humain à la paix", 70 ans après le vote de la Convention universelle des droits de l'homme.

4) C’est inséparable du passage en cours, à une échelle  temporelle historique, de l’ordre exclusif des États à un réseau de forces mondial complexe, où on trouve à côté de ces États, des entités non-étatiques : les forces économiques et financières mais aussi les organisations de la société civile, dans leur action concrète, reconnue de plus en plus à côté de celle des gouvernements et des lobbies économiques. Le jeu des interactions, des rapports de force est devenu plus complexe mais joue un rôle de "filet amortisseur" aux comportements égoïstes des États.

5/ C’est inséparable de l’évolution accélérée des nouvelles technologies, particulièrement celles de l’information (de la télévision, aux téléphones mobiles, à internet et aux réseaux sociaux), qui génèrent à la fois des risques de nouvelles dominations, de nouveaux contrôles des citoyens, mais tout autant et même plus, des potentialités nouvelles pour l'intervention individuelle ou collective des humains. Elles décuplent leurs capacités d’influer sur leur destin, comme cela s’était manifesté en 2003 dans la rapidité de constitution du mouvement anti-guerre aux États-Unis (David Cortright), en 1997, avec le succès inattendu de la campagne pour l’interdiction des mines antipersonnel. Le succès de la campagne d'associations anti-nucléaires, ICAN, qui a reçu le prix Nobel de la paix et vient d’aboutir à la signature d’un Traité d’interdiction des armes nucléaires, tient aussi à cette mobilisation des réseaux citoyens appuyés sur les techniques de communication moderne.

Alors, cette "résilience de la paix" signifie-t-elle pour autant que la guerre est écartée, que la situation du monde n'est pas dangereuse ? Évidemment non. Ma démonstration vise simplement à montrer que pour apprécier une situation donnée, il faut aussi être capable de prendre un peu de recul, de "décoller le nez de la vitre", pour comprendre les grandes évolutions de l'histoire.

Cent ans après 1918 : quelles leçons ? I/III - L'échec de la paix dans l'entre-deux guerres

Le centenaire de la fin de la 1ère Guerre mondiale 1914-1918 suscite nombre de recherches et de colloques et interroge un public large, au-delà des historiens et spécialistes. Le président de la République française organise même un "Forum de Paris sur la paix" le 11 novembre prochain. Des questions nous interpellent. Pourquoi la paix n'a-t-elle pas tenu après 1918, alors que tout le monde annonçait la "der des der" ? Paradoxalement, pourquoi sommes-nous toujours en paix, 73 ans après la fin du second conflit mondial en 1945 ? Enfin, les deux premières décennies de ce XXIe siècle, avec la recrudescence des tensions, la hausse brutale des crédits militaires et des ventes d'armes, la crise économique mondiale, ne rappellent-elles pas cette "montée à la guerre" de la fin des années 30 ?
Je livrerai  quelques réflexions sur ces thèmes dans trois articles consécutifs.

I/III - L'échec de la paix dans l'entre-deux guerres

Au lendemain de la fin de l'horrible boucherie de la 1ère Guerre mondiale, le rejet de la guerre est général dans l'opinion publique française. Il s'est cristallisé dès 1916 avec la publication du livre-choc,  le "Feu" de Henri Barbusse, la création en 1917 de l'ARAC (Association républicaine des anciens combattants) dont le slogan central sera le fameux "guerre à la guerre".
Cet attachement à la paix est, en même temps, un sentiment quasiment unanime en France.
Cela marque une différence avec les décennies de l'avant-guerre, où on trouvait dans une partie de la classe politique l'éloge des "vertus la guerre", estimée bonne pour tremper les caractères, voire forger une nation et une communauté de destin.
Ce rejet quasi unanime de la guerre ne signifie pas pour autant que la France est devenue globalement pacifiste car il se fractionne vite en plusieurs courants dès 1920  : le "plus jamais ça" des anciens combattants dont l'Union fédérale, créée notamment par René Cassin (1887-1976), joue un rôle central dans l'opinion, le courant du pacifisme par le droit qui s'exprime par le soutien prioritaire à la création de la SDN (la Société des nations), un courant anti-militariste et anti-impérialiste communiste, un courant pacifiste radical très fort dans la minorité libertaire de la CGT ainsi que dans le Syndicat des instituteurs.
La limite au développement des courants pour la paix se trouve certainement dans le fait qu'il n'y a pas d'élément fédérateur durable, permettant de surmonter les divergences. Le soutien à la Société des nations joue en partie ce rôle jusqu'en 1930 après la signature du traité de Locarno en 1925, qui semble régler la sécurité collective des pays à l'ouest de l'Europe. On parle positivement de "l'esprit de Locarno" et sa cheville ouvrière, Aristide Briand est appelée le "pélerin de la paix".
Mais l'impuissance croissante de la SDN face à certains conflits comme l'Éthiopie et son manque d'universalité (notamment l'absence des États-Unis) l'empêche de jouer ce rôle de pivot de la paix.
La création de mouvements d'intellectuels pour la paix comme le "Comité d'action contre la guerre et le fascisme" en 1932 et 1933, appelé mouvement Amsterdam-Pleyel, pour la création duquel duquel Henri Barbusse joua un grand rôle, essaie de mobiliser les consciences progressistes en France. Il sera un des creusets du futur "Front populaire pour la pain et la liberté" dès juillet 1935.
Mais le montée du fascisme transforme la nature du débat, après 1935 :  fut-il donner la priorité à la lutte anti-fasciste ou à la recherche de la paix ? Ces débats pèsent sur les attitudes politiques qui s'opposent : soutien ou non aux Républicains espagnols lors de la guerre d'Espagne, contre le coup de force de Franco, soutien ou non aux accords de Munich et à la complaisance devant les visées hitlériennes...
Cela explique que dès 1938, les défenseurs de la paix soient désunis et restent sidérés en 1939 devant l'accord Hitler - Staline.
Lorsque la 2e guerre mondiale prend fin en 1945, la situation du monde change radicalement. Elle est maintenant structurée par les deux camps vainqueurs mais opposés : les USA et l'URSS. Il faut tirer les leçons de l'échec de la Société des nations : la Charte créant l'ONU (Organisation des nations unies) donne des moyens d'agir à son Conseil de sécurité. L'organisation regroupe tous les grands pays du monde et continue son universalisation dans le cadre de la décolonisation, elle multiplie la création d'agences qui couvrent tous les domaines de la vie internationale. Une nouvelle période s'ouvre...