mardi 22 mars 2011

Libyie : appliquer strictement et uniquement le mandat de l'ONU

Jeudi dernier, le Conseil de Sécurité a donc voté sans opposition, par dix voix sur quinze, la résolution 1713 qui autorise les États membres « à prendre toutes les mesures nécessaires » afin de «protéger les civils et les zones peuplées de civils sous la menace d'attaques en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant une occupation par la force». Cinq États se sont abstenus (Chine, Russie, Brésil, Allemagne et Inde) mais ce fait, notamment compte-tenu des réticences connues de la Chine et de la Russie sur toutes les questions pouvant toucher à la souveraineté nationale, est un signal fort montrant que la situation en Libye ne pouvait plus durer.
Le Secrétaire général des Nations unies a estimé vendredi que la résolution 1973 adoptée jeudi par le Conseil de sécurité de l'ONU était « historique, concrète et pratique ». Historique, car c'est la première fois que l'ONU s'engage sur le concept adopté en 2005 de la "responsabilité de protéger" qui s'oppose à la notion d'ingérence mise en avant par l'OTAN lors des bombardements du Kosovo ou celui de "légitime défense" déformé et utilisé par les États-Unis en Afghanistan en 2001 et que l'ONU n'avait pu qu'entériner.
Concrètement, l'ONU par le biais du Conseil de sécurité apparaît pour la première fois comme susceptible d'être au coeur de la sécurité et de la paix internationale.
Cela ne va pas sans contradictions qui peuvent se développer et sans débats voire batailles politiques dans la mise en oeuvre.
En amont, il est clair que les gesticulations "bushiennes" de Nicolas Sarkozy ont retardé la discussion et l'adoption de la résolution au Conseil de sécurité. Plusieurs pays étaient méfiants devant la position française qui semblait affirmer que la France et le Royaume-Uni étaient prêts à intervenir sans mandat de l'ONU, en toute illégalité internationale. La résolution a finalement été discutée et votée, compte-tenu de l'urgence de la situation et surtout du fait du soutien de la Ligue arabe, de l'Union africaine et de la Conférence islamique, mais l'abstention allemande s'explique, pour une part, justement par les politique inadmissible de M. Sarkozy.
Le mandat donné par la Résolution est clair : protection des populations civiles y compris par la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne, permission de « prendre toutes les mesures nécessaires » y compris la force, puisque cette résolution est placée dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies qui concerne « le maintien de la paix internationale". Les autres mesures décidées concernent l'embargo sur les armes et le gel des avoirs du régime libyen.
Le but affirmé est d'obtenir un cessez-le-feu, "trouver une solution a la crise afin de répondre aux demandes légitimes du peuple libyen », permettre le déploiement des secours humanitaires.
Il ne s'agit donc pas d'une guerre contre la Libye et Kadhafi, de renverser le régime et il est abusif de voir les médias utiliser un langage qui ne correspond pas au mandat de l'ONU.
Mais après trois jours de démarrage de l'application de cette résolution sur le terrain, il est clair que l'opinion publique, les ONGs attachées à la paix, à la justice et aux droits de l'homme, les gouvernements ont le devoir de veiller à ce que la protection des populations ne soit pas le prétexte à une opération militaire, voire une guerre pour d'autres intérêts, politiques ou économiques.
Il faut combattre toute déclaration comme celle du Département d'État américain déclarant que le départ de Kadhafi était "le but ultime" de l'opération : cela, c'est au peuple libyen, débarrassé de la menace que faisaient peser l'armée et les mercenaires de Kadhafi d'en décider. De même, l'opération de l'aviation britannique contre le quartier général de Kadhafi ne semble pas rentrer strictement dans l'application du mandat. Cela suppose d'être à l'écoute de l'opposition libyenne et des gouvernements arabes, en tenant compte des débats existants. Ainsi, selon la presse, le secrétaire de la Ligue arabe, Amre Moussa, avait critiqué dimanche les frappes aériennes internationales sur la Libye, estimant qu'elles allaient au-delà de la zone d'exclusion aérienne réclamée par la Ligue des États arabes et causaient des pertes civiles. Mais, lundi, lors de sa conférence de presse avec Ban Ki-moon, M. Moussa a assuré qu'il soutenait la résolution de l'ONU sur la Libye... À ce propos, la gravité de la situation libyenne ne doit pas faire oublier la répression au Bahrein et au Yemen : Ban Ki-moon a appelé les deux gouvernements à la retenue mais on peut regretter que la médiatisation et la sensibilisation de l'opinion ne soient pas les mêmes pour ces pays...
Il y a certainement un déficit de concertation entre ONG internationales pour mettre sous surveillance la résolution de l'ONU et pour demander que le Conseil de sécurité suive en quasi permanence l'évolution de la situation et le respect par les États volontaires du mandat onusien, notamment pour que la partie militaire de celui-ci s'arrête dès que le but affirmé, un cessez-le-feu, le respect de l'acheminement humanitaire dans tout le pays sera accepté par le régime de Kadhafi.
Ne nous y trompons pas en France, la résolution 1973 est une occasion importante pour réconcilier l'ONU avec une fraction importante de l'opinion publique arabe, notamment en Tunisie et en Égypte, déçue de l'impasse dans la reconnaissance de l'État palestinien et nous savons que ce même sentiment existe dans une partie de l'opinion française. Il serait dommageable que la critique, souvent justifiée mais aussi très schématique de l'impérialisme US, n'amène certains militants ou commentateurs à ne pas voir l'aspect inédit de la situation en Libye. Défendre la prééminence de l'ONU dans l'organisation du monde et non celle des États "monstres égoïstes et froids" selon la formule du célèbre chercheur Hobbes, est une valeur progressiste que les gesticulations du président français ne peuvent brouiller.
La résolution de l'ONU 1973, avec ses limites et ses contradictions, apporte une nouvelle pierre dans la construction du droit international : il importe qu'elle ne soit pas dévoyée par aucun intérêt géostratégique de domination ou d'exploitation de grandes puissances. En même temps, le "devoir de protéger" ne se limite pas à la seule dimension militaire : il suppose que les États donnent les moyens aux institutions onusiennes de développer plus la lutte contre la pauvreté, pour l'éducation, c'est à dire les Objectifs du Millénaire décidés par l'A.G. de l'ONU en l'an 2000. Cela implique de donner des moyens à l'ONU, l'UNESCO de développer des politiques de promotion d'une Culture de la paix, qui porte en son sein la tolérance, la participation démocratique, l'information participative, bref, qui est un outil extraordinaire de formation des citoyens et citoyennes du monde et, donc, de construction de la démocratie.
le 22 mars 2011



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