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lundi 27 décembre 2010

Sécurité humaine : quelles raisons de la paix ? (3)

Dans un article précédent (http://culturedepaix.blogspot.com/2010/12/securite-humaine-un-monde-moins.html), j'ai livré quelques réflexions sur la baisse du nombre des conflits et de leurs victimes dans les dernières décennies. Je soulignais trois éléments qui ont parallèlement profondément changé dans le contexte international : la fin du colonialisme et de ses guerres meurtrières, la fin de la guerre froide et de ses affrontements connexes, la croissance sans précédent des activités internationales autour de l'ONU pour la prévention des conflits, le rétablissement de la paix.
Il s'agit de trois grandes évolutions sans lesquelles on ne peut pas comprendre l'évolution de notre planète des trois dernières décennies mais elles n'expliquent pas à elles seules cet "apaisement" apparent du monde. C'est pourquoi je soulevais dans cet article, les questions suivantes : quelles autres explications apporter à la baisse des conflits et de la violence ? Quelles "raisons de la paix" ? Cette baisse est-elle une tendance irréversible ? Quelles menaces subsistent, pouvant la remettre en cause et refaire exploser la violence du monde ?
Selon les auteurs des deux études mentionnées dans l'article précédent, plusieurs causes concourent à la baisse des violences. Une des premières réside dans l'accroissement considérable des échanges économiques et commerciaux, donc de l'interdépendance des États, dans le cadre des progrès de la mondialisation. Pour le professeur Mack, auteur du Rapport sur la sécurité humaine, "l'interdépendance", dit-il, "a augmenté le coût de la guerre, tout en réduisant ses avantages." Dans le système commercial mondial, il est presque toujours moins cher aujourd'hui d'acquérir des biens et des matières premières par le commerce, que d'envahir un pays afin de les voler.
Selon le rapport, le développement économique est une forme puissante de la prévention des conflits à long terme : dans les pays en développement, la politique économique nationale est de facto une politique de sécurité nationale. L'analyse de l'histoire de l'Asie de l'après-Seconde Guerre mondiale illustre cette situation. Après les dévastations provoquées par les guerres coloniales des grandes puissances de 1945 à 1975, la période suivante du milieu des années 1970 au milieu des années 1990, a vu le PIB par habitant dans la région doubler, et à l'inverse, le nombre de conflit diminuer de plus de moitié.
 La croissance économique forte des pays asiatiques et de ceux d'Amérique du Sud mise en relation avec les progrès plus lents en Afrique et Proche-Orient, a des correspondances troublantes sur les cartes d'évolution des conflits des dernières décennies. La croissance économique, le développement social s'accompagnent d'autres facteurs : baisse des indices de fécondité, donc familles plus faciles à élever, augmentation des espérances de vie (elle a plus que doublé dans les pays arabes du Golfe -plus 18 ans- et augmentée de seulement 8 ans en Afrique sub-saharienne).
Interdépendance économique et développement forment une première batterie de causes favorables.
Interdépendance politique, resserrement des bonnes relations entre États, en forme une deuxième batterie. Le monde compte deux fois plus de pays, ils entretiennent des liens politiques de plus en plus étroits : le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a rappelé récemment qu'en 1960, l'ONU ne comptait que 99 États membres dont quatre pays africains contre 192 aujourd'hui. Le système international onusien a développé ses interventions, en particulier, depuis la fin de la guerre froide. Cette intervention, tant en amont que en aval des conflits a joué un rôle également considérable, pour diminuer le nombre des conflits et pour alléger les coûts humains de ceux-ci.  Certes, on a l'habitude de pointer davantage les difficultés des Nations unies à enrayer tel ou tel conflit, ou à trouver rapidement une issue positive à telle ou telle situation, mais on évoque rarement les situations dramatiques qui existeraient si cette intervention n'existait pas. À noter que, depuis la fin de la guerre froide, l'augmentation du niveau, de la portée et de l'efficacité de l'aide humanitaire aux populations touchées par la guerre dans les pays en conflit, ont réduit le nombre de morts de manière significative, amélioré la vie des survivants et blessés, la vie des réfugiés.
L'implication considérable des ONG, le nombre des pays engagés dans des dispositifs divers pré et post-conflits, créent ainsi une interdépendance politique nouvelle au niveau mondial.
Ces évolutions au niveau économique, au niveau politique voient des évolutions parallèles au niveau de l'évolution des mentalités et des esprits. L'auteur du site Hérodote.net souligne l'écart existant entre l'évolution réelle des conflits et de leurs victimes dans le monde qui est en baisse, et l'impression subjective que l'opinion éprouve d'une violence sans pareille... "Sans doute sommes-nous d'autant plus sensibles à la violence que celle-ci est devenue plus rare (paradoxe mis en lumière par Tocqueville à propos des droits féodaux : ceux-ci n'ont plus été tolérés à partir du moment où ils étaient devenus marginaux).". Ce rejet croissant de la violence du monde est sans doute lié aussi à une forme de saturation médiatique ? Jour après jour, les journaux et la télévision doivent remplir leurs pages et leurs tranches d'actualités d'événements spectaculaires, ce qui aboutit à survaloriser le moindre affrontement dans un pays, sans échelle de proportions raisonnable... En même temps, la diffusion de l'information est devenue mondialisée, accélérée par les nouveaux outils de communication (télévision satellite, internet) et les réseaux sociaux qui se développent (Facebook, Twitter). C'est la naissance d'une nouvelle interdépendance, celle des esprits, des cerveaux des citoyens/citoyennes !
Les réactions des opinions publiques prennent ainsi du poids et peuvent influencer en partie les interventions des États démocratiques. Or, ceux-ci sont d'ailleurs de plus en plus nombreux puisque le pourcentage de pays dotés de gouvernements élus dans des systèmes électoraux démocratiques a doublé entre 1950 et 2008, de 29 % à 58 %.
Cette interdépendance plus grande des esprits ne peut que réjouir ceux qui luttent pour "élever les barrières de la paix dans l'esprit des hommes" selon le préambule constitutif de l'UNESCO.  Certes, chacun sait que le chemin pour promouvoir une culture de paix mondiale sera long...
Notons,  à ce sujet, que l'Assemblée générale des Nations unies a fait le point le 29 octobre dernier de la "Mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action en faveur d’une culture de paix" et que, dans la résolution votée, elle incite  l’UNESCO à examiner la possibilité de constituer un fonds spécial pour financer des projets de pays relatifs à la culture de paix et incite la Commission de consolidation de la paix (CCP) à continuer de promouvoir cette culture de paix dans ses initiatives post-conflit.
Bien sûr, ces évolutions sont des tendances. Ainsi, la réalisation des Objectifs du Millénaire pour l'éradication de la pauvreté rencontre des obstacles : ceux-ci peuvent mettre en cause la crédibilité des Nations unies. L'interdépendance économique peut inciter des grandes puissances à décider que le contrôle des matières premières qui leur sont nécessaires est un enjeu national de sécurité, et donc à utiliser la menace militaire. Les dispositifs de prévention des conflits se heurtent aux enjeux de puissance locaux comme le montre la situation en Côte d'Ivoire. La promotion de la culture de paix peut être entravée par de nouvelles craintes, nées des migrations, des modifications des pratiques culturelles ou religieuses qu'elles entraînent... Mais, je pense que les grandes tendances sont au développement d'un monde de plus en plus interdépendant, avec les nouvelles approches qui doivent en découler. Le débat est ouvert...
Dans ce débat, on peut mettre également l'appréciation du bilan à faire, des efforts de promotion de la Culture de paix après la décennie 2001-2010 qui lui était consacrée ? C'est ce que nous examinerons sans doute au début de l'année... prochaine.
27 décembre 2010


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