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mardi 21 décembre 2010

Sécurité humaine : un monde moins meurtrier ? (2)

j'évoquais dans un précédent article les évolutions vers la recherche, non seulement d'une sécurité globale au niveau des États, mais aussi d'une sécurité humaine, englobant la sûreté des individus eux-mêmes.
Dans quel contexte interviennent ces évolutions positives ? Les conflits, les guerres, les violences qui les accompagnent, sont-ils en croissance ou non, les conséquences plus meurtrières ou non ?
Un article récent du site d'histoire français Hérodote apporte un élément de réflexion intéressant. Il fait remarquer que 2001-2010 représente "la décennie la moins violente depuis 1840" alors que la vision quotidienne du journal télévisé produit parfois le sentiment que tout va de plus en mal, dans un monde de plus en plus meurtrier.. Il prend en compte seulement le nombre de décès directement imputables à la violence guerrière. Pour lui, en prenant en considération les importantes incertitudes sur les recensements des victimes, les conflits et drames de la décennie (notamment  Irak, Darfour, Afghanistan, Congo), si intolérables soient-ils, aboutissent tous comptes faits en 2001-2010 à moins d'un million de morts au total. Pour l'auteur de l'étude, les décennies précédentes ont connu toutes, à chaque fois, un total supérieur à un million de morts (deux millions de morts ou davantage dans la plupart des cas, y compris les années 1990).
Un statut particulier revient au tiers de siècle 1914-1947 qui est la période la plus meurtrière de toute l'Histoire de l'humanité avec 100 à 200 millions de morts violentes sur 2 milliards d'êtres vivants, soit un taux exceptionnel de 5 à 10% de tués en l'espace d'une génération.
Selon cette étude, "il faut en définitive remonter aux années 1815-1840 pour discerner un niveau de violence internationale aussi bas qu'aujourd'hui (environ un million de victimes par décennie). En effet, après les guerres napoléoniennes (1 million de morts rien qu'en Europe, de 1804 à 1814), le monde n'a plus affaire qu'à des conflits mineurs, modérément meurtriers" (Amérique latine, Grèce, Serbie) jusqu'aux années 1840 (début des guerres en Chine, puis la guerre de Sécession aux États-Unis, le début de nouvelles guerres coloniales).
Dernière remarque à prendre en compte, les chiffres de victimes des dernières décennies se rapportent à une population mondiale de 6,5 milliards d'êtres humains, tandis que les guerres napoléoniennes ou la guerre de Sécession se rapportaient à seulement un milliard d'êtres humains.
Un récent rapport du "Projet sur la sécurité humaine" de l'université canadienne Simon Fraser étudie l'évolution des conflits, de leur intensité, de leurs causes dans les trois dernières décennies et ses conclusions vont plutôt dans le même sens que cet article de Hérodote. Pour lui, les tendances à long terme sont la réduction des risques tant des guerres civiles qu'inter-étatiques, bien que des tendances existent indiquant que le monde pourrait devenir plus dangereux du fait de la hausse de la violence islamiste, de la "rigidité" des conflits qui subsistent, et de l'impact difficile à mesurer de la crise économique sur les pays en développement.
La période étudiée est plus limitée que celle d'Hérodote puisqu'elle recouvre les trente dernières années. Ainsi, le précédent rapport de ce centre de recherches en 2005, montre que le nombre de conflits armés avait diminué de plus de 40% depuis 1992. Les conflits les plus meurtriers (ceux avec 1000 décès ou plus dans des combats) ont connu une baisse radicale de 80%. Le nombre de crises internationales, souvent messagères de guerre, a baissé de plus de 70% entre 1981 et 2001. Les guerres inter-étatiques sont plus rares que dans des périodes précédentes et représentent maintenant moins de 5% de tous les conflits armés.
Les causes les plus importantes de décès ne proviennent pas de combats réels, mais de la maladie et de la malnutrition aggravées par les conflits. Ces décès "indirects" représentent pas moins de 90% des victimes recensées dans ces crises.
Les auteurs du rapport estiment qu'il y a eu trois grands changements du contexte international qui éclairent pour une large part ces évolutions :
- la fin du colonialisme : du début des années 50 au début des années 80, les guerres coloniales ont fourni 60-100% de tous les conflits internationaux selon les années.
- la fin de la guerre froide, qui avait produit approximativement un tiers de tous les conflits de l'après-Seconde Guerre mondiale. La menace de guerre entre les deux "grands" a disparu ainsi que les « guerres par procuration » qu'ils se menaient dans les pays en voie de développement.
- la croissance sans précédent des activités internationales conçues pour arrêter ou prévenir les guerres, notamment grâce aux activités de l'ONU. Les missions de diplomatie préventive de l'ONU ont été multipliées par six, les missions de rétablissement de la paix par quatre, les opérations de paix post-conflits par quatre également, l'augmentation par onze du nombre d'États soumis à des sanctions de l'ONU, pour faire pressions sur des négociations ou prévenir un conflit. Il faut ajouter le développement sans précédent de l'action des ONG humanitaires, de développement qui limitent le nombre des victimes, notamment des victimes "annexes" (de maladie, d'épidémie, de blessures).

Ces chiffres ne diminuent en rien l'inacceptabilité du nombre énorme de victimes des conflits actuels ni l'urgence des initiatives pour l'éradication totale des guerres dans le monde. Mais ces réflexions ont le mérite de nous faire prendre un peu de recul pour ne pas oublier quelques grandes évolutions de ces dernières décennies. Il est parfois bon de voir que notre action militante quotidienne s'inscrit dans une évolution positive de l'humanité. Maintenant, d'autres questions très importantes sont pendantes : quelles autres explications apporter à la baisse des conflits et de la violence ? Quelles "raisons de la paix" ? Cette baisse est-elle une tendance irréversible ? Quelles menaces subsistent, pouvant la remettre en cause et refaire exploser la violence du monde ? Nous y reviendrons dans un prochain article....
21 décembre 2010



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