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mardi 29 mars 2011

Libye : tourner la page militaire...

La situation en Lybie est entrée dans une nouvelle phase. De nombreux observateurs, y compris des militaires, estiment que le volet militaire de la résolution 1973, prise par le Conseil de sécurité des Nations unies le 17 mars dernier, pour protéger les populations civiles libyennes du massacre, est accompli puisque la zone d'exclusion aérienne est respectée, que les chars utilisés pour tirer sur la population ont été détruits pour l'essentiel.
Il est temps de passer à l'application des mesures non-militaires, politiques pour obtenir un cessez-le-feu et permettre une solution à la crise..
Rappelons que, précédemment, le 26 février, le Conseil de sécurité avait adopté la résolution 1970 qui a décidé d'une saisine de la Cour pénale internationale (en considérant que "les attaques systématiques" contre la population civile en Libye actuellement en cours "peuvent être assimilées à des crimes contre l'humanité"). La résolution comprend des sanctions contre les autorités libyennes, dont un embargo sur les armes, une interdiction de voyager et un gel des avoirs, mesures renforcées dans la résolution 1973. Dix-huit individus (dont Mouammar Kadhafi, sept fils et sa fille et des personnes intimement liées au régime) sont visés par l'interdiction de voyager. Treize individus et cinq entités ou structures sont visés par le gel des avoirs. L'embargo sur les armes semble respecté.
Aujourd'hui, il paraîtrait inconcevable que des opérations militaires continuent car cela signifierait que certains pays poursuivent des objectifs autres que ceux de la résolution de l'ONU. De même, la décision de confier la coordination militaire à l'OTAN doit être rapportée car elle constitue un signal négatif aux populations de la région en accréditant l'image d'une nouvelle "croisade occidentale". De plus, l'expérience de l'Afghanistan montre que confier la direction d'un mandat de l'ONU à l'OTAN aboutit à privilégier uniquement le volet militaire au détriment du volet civil, à pervertir les mandats de maintien de la paix en mandat de guerre pour des intérêts extérieurs, économiques ou stratégiques...
Il est souhaitable que la pression de l'opinion publique pèse en ce sens car ce mardi 29 mars se tient à Londres une Conférence internationale qui discutera justement de la situation en Libye et de la sortie de crise.
MM Sarkozy et Cameron ont appelé hier, lundi, à "instaurer un dialogue politique national à même de déboucher sur un processus de transition représentatif, une réforme constitutionnelle et l’organisation d’élections libres et régulières". Cela montre qu'ils sont conscients que leur marge de manoeuvre pour se lancer dans une éventuelle aventure guerrière est étroite. L'Italie et l'Allemagne ont choisi la voie de la prudence en avançant aussi des propositions pour un cessez-le-feu et une transition démocratique. La même prudence semble marquer les dernières déclarations du Président Obama cette nuit. Enfin, l'Union africaine a avancé un plan qui propose un cessez-le-feu immédiat, l'ouverture d'un dialogue entre Libyens mais aussi la mise en place de corridors humanitaires et des mesures de protection pour les nombreux travailleurs immigrants issus d'Afrique noire présents en Libye.
Il est donc aujourd'hui possible d'entrer dans une deuxième phase, une phase politique, du processus mise en place par l'ONU au travers des résolutions 1970 et 1973 à condition qu'aucune marge de manoeuvre ne soit laissée à ceux qui rêveraient d'aventures : l'évolution de l'opinion internationale semble positive et refuse toute dérive guerrière.
C'est un enjeu important : la résolution 1973,  comme je l'écrivais la semaine dernière est une résolution historique, même si elle comportait certaines ambiguïtés, car la première faisant référence au concept de "responsabilité de protéger" de la communauté internationale contre de possibles génocides, adopté en 2005 par les Nations unies. Cette notion, quoiqu'écrivent certains commentateurs, est fondamentalement différente du "droit d'ingérence" avancé dans les années 1990, qui s'inscrivait dans la logique du "bon shérif" et non celle du droit international. Il importe donc que sa première application ne soit pas entachée de manipulations et de dérives.
Avec la résolution 1973, un précédent a été créé : demain, le gouvernement d'Israël ne pourra pas si facilement réitérer son agression dans la bande de Gaza...
À ceux qui, avec quelque incohérence, critiquent la résolution de l'ONU et disent en même temps "pourquoi ne pas faire pareil au Bahrein ?", on peut faire remarquer que les situations étaient différentes mais que pour autant, il n'y a pas silence à l'ONU. Ces derniers jours, le Secrétaire général de l'ONU a parlé avec le Roi de Bahreïn, le ministre saoudien des affaires étrangères et le Président syrien. « Je leur ai rappelé la nécessité d’écouter la voix du peuple et d’entamer un dialogue ouvert à tous pour le changement, au lieu d’utiliser la répression. Je me suis aussi exprimé contre l’usage de la force contre la population civile à Bahreïn, en Syrie et au Yémen », a-t-il dit.
Par contre, est posée la question de l'interpellation des gouvernements, notamment de celui de M. Sarkozy : quelle politique étrangère cohérente avec les grandes déclarations éthiques va-t-on mener demain ?
Mardi 29 mars 2011


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