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lundi 6 décembre 2010

OTAN : la difficile justification existentielle de Lisbonne

Le sommet que l'OTAN  a tenu à Lisbonne et le nouveau "concept stratégique" adopté (la "ligne de conduite" des alliés pour les prochaines années) ont suscité beaucoup de commentaires sur les "perdants" et les gagnants"... Deux semaines après, que peut-on en dégager ?
Concernant la question centrale de l'avenir des armes nucléaires, le concept stratégique adopté "engage l’OTAN sur l’objectif qui consiste à créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires – mais il reconfirme que, tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’OTAN restera une alliance nucléaire". Nous sommes bien au coeur de l'ambiguité actuelle des diplomaties des grandes puissances. la formule "tant que..., nous garderons des armes nucléaires" est remarquablement hypocrite car elle se traduit par un "puisqu'il y a des armes nucléaires, nous gardons les nôtres et on verra"...
En effet, on trouve bien sûr, dans ce même texte de l'OTAN, une formule apparemment très politiquement correcte : " Nous sommes déterminés à tendre vers un monde plus sûr pour tous et à créer les conditions d'un monde sans armes nucléaires, conformément aux objectifs du Traité sur la non prolifération des armes nucléaires, selon une approche qui favorise la stabilité internationale et se fonde sur le principe d'une sécurité non diminuée pour tous", qui rappelle les amendements français soutenus à New-York, en mai dernier à la conférence du TNP.
Mais que vaut cette formule, quand les alliés réaffirment ailleurs dans le texte que l'OTAN maintiendra des armes nucléaires en Europe (elle se contentera de chercher "à réunir les conditions pour de nouvelles réductions") : or, tous les experts reconnaissent que ces armes (des bombes nucléaires basés sur des bombardiers) n'ont aucune justification de dissuasion mais ont uniquement un rôle politique d'intimidation.
Deuxièmement, le texte réaffirme clairement deux volontés : "nous maintiendrons une combinaison appropriée de forces nucléaires et conventionnelles" et "nous alimenterons les budgets de défense aux niveaux nécessaires pour que nos forces armées aient des moyens suffisants". À Lisbonne, le processus de désarmement nucléaire relancé depuis un an a connu, sinon un coup d'arrêt, au minimum, une pause illustrée par cette fausse vérité de bon sens, formulée également dans le texte :"Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire". Certes, on ne pouvait guère attendre d'une alliance militaire qu'elle aille dans le sens du désarmement, il reviendra donc aux citoyens de transformer cette formule en "Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, les gouvernements doivent travailler à les éliminer complètement et partout dans le monde"...
La deuxième conclusion que je tire de la lecture du concept stratégique adopté par l'OTAN est un besoin considérable de trouver de nouvelles justifications à l'existence de cette alliance militaire qui n'a plus d'ennemi classique officiel, puisque celui qui était toujours désigné de fait, la Russie, assistait à la réunion. Pour justifier son existence, l'OTAN a donc élargi le champ des menaces en y mêlant pêle-mêle le terrorisme, la cybercriminalité et... la protection des voies d'approvisionnement énergétiques : pétrole, uranium, gaz, nous voilà prévenus....
Or, tous ces domaines devraient relever d'abord du renforcement de la coopération policière, judiciaire plus que du relèvement des moyens militaires nucléaires et conventionnels... Cette orientation apporte de l'eau aux moulins de ceux qui estiment que l’OTAN est aujourd’hui, moins une alliance militaire qu’un moyen de contrôle économique et politique par les Etats-Unis de leurs intérêts propres et de contrôle politique de leurs « alliés». Cette critique est renforcée par l'insistance mise par la déclaration affirmant que "l’UE est un partenaire unique et essentiel pour l’OTAN. Les deux organisations sont composées, en grande partie, des mêmes États, et tous leurs membres partagent les mêmes valeurs". L'OTAN enfonce le clou en répétant que  "l'OTAN et l'UE peuvent et doivent jouer des rôles complémentaires et se renforcer mutuellement, en soutien de la paix et de la sécurité internationales" : ceci n'est pas sans poser question : une alliance militaire et un ensemble politique ne se situent pas vraiment sur le même plan.  "Je t'embrasse pour mieux t'étouffer", dit le proverbe.
Les "signaux" politiques envoyés par le sommet de Lisbonne sont essentiellement négatifs : il est donc curieux d'entendre un des responsables des questions de défense au parti socialiste, M. Fabius, déclarer au Forum de la Presse diplomatique (contrairement à ce qu'autres dirigeants dont Martine Aubry, avait dit, lors du retour de la France de M. Sarkozy dans le commandement militaire de l'OTAN), "On ne ressortira pas du commandement" et ajouter simplement : "Nous demanderons que les deux exigences formulées par la France - un poids accru de notre pays dans les structures militaires et une défense européenne plus forte - soient satisfaites." On a du mal à voir là une politique alternative aux mauvais choix de Nicolas Sarkozy.
In fine, la principale mesure militaire concrète annoncée est la création d'un bouclier anti-missiles visant, quasi officiellement l'Iran, et, sans le dire, aussi la Chine. Cette décision n'est pas sans évoquer pour les Français la construction de la fameuse "ligne Maginot" qui devait constituer un mur infranchissable pour l'armée allemande. Là encore, outre le fait que  le projet de bouclier antimissile sera particulièrement onéreux (plusieurs milliards d’euros) et d'une efficacité douteuse, des critiques font remarquer que la contribution financière des européens permettra de financer l’industrie militaire outre-atlantique au détriment de la recherche européenne et de notre propre tissu industriel. Cette course continue vers plus de dépenses militaires stériles a d'ailleurs été de nouveau condamnée par le Pape qui, en recevant l'ambassadeur du Japon, a réaffirmé le 27 novembre dernier qu'une "part des sommes allouées aux armes pourrait être réaffectée à des projets de développement économique et social, d’éducation et de santé. Cela contribuerait sans aucun doute à la stabilité intérieure des pays et à celle entre les peuples". Nos lecteurs savent qu'en 2009, 1.531 milliards de dollars ont été dépensés en armements dans le monde (+ 50% par rapport à 2000). Or, 15 milliards de dollars par an suffisent pour fournir de l’eau potable à tous les humains; 20 milliards pour éradiquer la faim et la malnutrition et 12 milliards pour éduquer tous les enfants.
Sans angélisme aucun, il y a là matière à réfléchir sur la réduction de la militarisation du monde, d'autant plus que le même sommet de l'OTAN a dû reconnaître que les solutions purement militaires étaient en échec : "les enseignements tirés des opérations de l’OTAN, en particulier en Afghanistan et dans les Balkans occidentaux, montrent à l’évidence qu’une approche globale – politique, civile et militaire – est indispensable pour une gestion de crise efficace". Le texte ajoute aussi "La meilleure façon de gérer un conflit, c’est d’éviter qu’il ne survienne".  Nous avons envie de dire : "just do it !".
6 décembre 2010



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