jeudi 30 mai 2013

Livre blanc : des dépenses, pourquoi faire ? (3)

Les commentaires divergents sur les moyens proposés à la Défense illustrent bien les ambiguïtés du Livre blanc. Des commentateurs ont insisté sur les 34 000 postes supprimés en 2014-2019 (24 000 de plus que prévu) ; de l'autre côté, le texte du Livre blanc affirme (p 137) : "la France continuera à consacrer à sa défense un effort financier majeur".
Effectivement, le refus de voir les évolutions du monde dans toutes leurs contradictions, à la fois comme menaces mais aussi comme évolutions positives, amène à une position de vouloir tout maintenir sans forcément en avoir les moyens. L'exemple le plus flagrant est, bien sûr, le maintien non justifié de la 2e composante nucléaire (missiles aéroportés) sans justification stratégique claire et, en même temps, l'absence temporaire sur "le terrain" d'un porte-avions du fait de l'immobilisation pour entretien de l'unique PAN Charles-de-Gaulle..
Cette position amène à prévoir la somme énorme de 364 Md€(2013) pour la période 2014-2025, dont 179 Md€(2013) pour les 5 années à venir. Ce montant élevé dû à la poursuite de programmes coûteux (renouvellement des missiles nucléaires, le grand public s'est aperçu du coût exorbitant du missile M51 auto-détruit) correspond-il aux besoins réels de la Défense et de la sécurité de la France aujourd'hui ? N'est-il pas provoqué par le manque d'imagination des responsables de la gauche française face au manque de renouvellement de la pensée stratégique française ;  responsables trop préoccupés par la peur de se voir taxés par la droite de faiblesse par rapport à la "grandeur" de la France ? Surtout, ne traduit-il pas une faiblesse devant le poids du lobby politico-militaire de l'armement notamment nucléaire et missilier (Paul Quilès et Bernard Norlain le relèvent avec justesse dans leurs dernières publications) ? Le fait que le ministre des Finances, le ministre de la Défense, la Présidente de la commission de la Défense de l'assemblée nationale soient tous trois des parlementaires d'une région dépendant pour une large part de l'économie militaire ne pose-t-il pas problème, quelles que soient par ailleurs leur honnêteté et leur sincérité politique ?
En même temps, les dépenses militaires annoncées pour les années à venir (5,9 Mds€ 2013) dépendent pour une part de la vente des derniers "bijoux de famille" (biens immobiliers de l'armée, vente de fréquences radio, etc...), seront-elles réalisées ? Sinon, acceptera-t-on de faire encore plus appel au budget général ?
On sait que, dans le passé, les engagements annoncés, soient, n'ont pas été tenus, soient, l'ont été au prix d'étalement de programmes, de reports de paiements, avec comme conséquences des renchérissements de prix au final, inacceptables...
La même ambiguïté de posture déclarative existe avec les industries de défense. Il est proclamé que "l'industrie de défense est une composante majeure de l'autonomie stratégique de la France" (p 140). Le Livre blanc propose "le maintien d'un budget significatif en matière de recherche et de développement", l'aide aux entreprises pour "accroître le volume de leurs exportations" ainsi que "l'exploitation systématique de toutes les voies de coopérations". Dans la pratique, malgré quelques exemples isolés, le positionnement français n'a pas permis un développement réel des coopérations européennes, les exportations françaises ont conduit à d'importants transferts de technologies donc de nouvelles concurrences. Le commerce des armes connaît de premières limitations et contrôles, qui devraient se développer encore demain. On apprend ainsi au détour d'une phrase (p 127) que la France a surtout soutenu le Traité d'interdiction et de contrôle des armements parce qu'il "participe à la protection de nos compétences technologiques dans un contexte de concurrence exacerbée"... Bref, parce qu'on espère qu'il nous aidera à vendre plus d'armes ! (désolé pour les naïfs..).
La politique de fabrication d'armements suivie jusqu'à présent : lancement de nouveaux programmes lors de renouvellement à répétition, souvent très coûteux donc très étalés, sans réflexion sur les évolutions du monde (ex des chars Leclerc) a conduit à des restructurations meurtrières en terme d'emplois. D'autres se préparent pour demain, si des réflexions nouvelles sur les conversions civiles nécessaires ne sont pas menées.
Derrière les ambiguïtés relevées dans ce Livre Blanc affleure une question. La pensée unique en terme de défense, de sécurité et de paix est-elle inévitable ? L'intervention de François Hollande le 23 mai à l'IHEDN semble l'affirmer. Y-a-t-il des voies alternatives à explorer ? Cela sera le sujet d'un prochain article.

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