jeudi 14 avril 2011

L'après Libye - Côte d'Ivoire : les débat de demain

Les situations en Côte d'Ivoire et même en Libye prennent un nouveau cours. L'arrestation de Laurent Bagbo rétablit une situation juridique normale dans le pays. Mais le président A. Ouattara, malgré sa légitimité, doit maintenant mettre en chantier la réconciliation dans la population, permettre le jugement impartial de tous les crimes de guerre ou atrocités commis par tous les camps, travailler au redémarrage de la vie économique et sociale. Il a annoncé la création d'une commission "vérité et réconciliation", l'ONU a créé une commission d'enquête avec trois personnalités : leurs résultats seront essentiels. L'ONUCI s'est engagée à aider au retour à l'ordre républicain et à la sécurité intérieure. Il est clair que la France devrait, pour clarifier ses rapports avec le pouvoir, annoncer le retrait de la force Licorne tandis que l'ONUCI devrait être renforcée temporairement pour garantir la transition politique en faisant appel à des forces africaines supplémentaires.
En Libye, les propositions de l'Union africaine pour un cessez-le-feu et une période de transition doivent être soutenues. Les pays dits de "la coalition" (dont la France) doivent faire pression pour que les opposants à Khadafi acceptent un processus négocié. M. Juppé fait une interprétation déformée de la résolution 1973 du Conseil de Sécurité : celle-ci n'implique pas un départ de M. Khadafi mais un arrêt réel de toutes les opérations militaires de celui-ci (et de ses opposants). La zone d'exclusion aérienne a été créée, le volet militaire doit donc aujourd'hui faire place au volet diplomatique et au renforcement des pressions politique, notamment sur l'entourage du dirigeant libyen.
Même si la situation reste préoccupante dans ces deux pays (sans négliger ce qui se passe ailleurs notamment en Syrie, au Bahrein et à Gaza), il n'est peut-être pas trop tôt pour commencer d'ouvrir la réflexion sur la période que nous venons de vivre.
Un des éléments centraux des événements en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Côte d'Ivoire et dans d'autres pays africains est l'aspiration grandissante à la vie démocratique et à l'ouverture des sociétés. L'élargissement des moyens d'information n'y est pas pour rien. Cette aspiration, dans plusieurs pays (pas tous certes), s'est exprimée au travers de mouvements populaires trouvant des formes d'action nouvelles au delà des structures organisationnelles anciennes, à l'aide des "réseaux sociaux" (Facebook, mails) en particulier.
Les Nations unies, au travers de résolutions au contenu nouveau centré sur la nouvelle notion de "responabilité de protéger", se sont trouvées au centre du règlement de ces problèmes. Elles n'ont pas été "instrumentalisées", non déplaise à certaines analyses "anti-impérialistes", ossifiées sur des schémas hérités de la Guerre froide. Par contre, comme il ne faut pas être naïf, il faut constater que chaque élaboration de résolution, chaque interprétation, chaque mise en oeuvre ont été l'objet d'une bataille politique et diplomatique féroces de certaines grandes puissances du Conseil de sécurité (USA, France et Grande-Bretagne) pour les détourner au profit de leurs intéêts stratégiques, politiques, économiques. D'autres comme Chine et Russie ne sont pas opposées à ces avancées de la sécurité humaine, mais n'ont pas essayé de mieux cadrer les manoeuvres des puissances occidentales (N.B : un changement semble heureusement s'amorcer avec la résolution des pays du B.R.I.C -Brésil, Russie, Inde, Chine- aujourd'hui à Pékin). Dans toutes ces crises, les organisations régionales, Union africaine et CEDEAO, Ligue arabe ont joué un rôle de plus en plus important malgré encore beaucoup de confusions dans leurs rangs.
Les opinions publiques et ONG ont peu pesé dans les débats car elles ont eu du mal à sortir de leur fonction protestaire ("Non à la guerre") pour peser et dire "Oui à la protection des civils, Oui au respect strict du droit international dans l'utilisation de la contrainte, Oui au contrôle exclusif par l'ONU"
Si on veut continuer de faire avancer le droit international ET limiter, voire empêcher les manipulations et manoeuvres des grandes puissances, il est nécessaire d'ouvrir le débat sur un certain nombre de problèmes.
Comment limiter l'ambiguïté de certaines résolutions au Conseil de sécurité cermettant l'usage de la force comme dans la résolution 1973 ("prendre toutes mesures nécessaires" pour...). Dans les années 2000, une proposition avait été avancée qui devrait être remise aujourd'hui dans le débat : imposer un code de bonne conduite pour l'application par les membres du Conseil de sécurité du Chapitre VII de la Charte des Nations unies (celui autorisant l'usage de la force), délimitant plus précisément les conditions et cadres de sa mise en oeuvre, imposant plus systématiquement un volet civil et politique prioritaire.. C'est un champ d'action important à investir par la société civile.
Lorsque la force militaire semble nécessaire, comment éviter que par "obligation d'efficacité", l'ONU et les membres du Conseil de sécurité ne fassent appel à l'OTAN ? Il y a deux volets à une réponse possible : multiplier les alternatives à l'OTAN au niveau des "vraies" organisations régionales pour tout ou partie des demandes. Au lieu de discours sur une défense européenne qui reproduirait les mêmes schémas de militarisations qu'aujourd'hui, comment réfléchir à des moyens européens ou forces spécialement développées pour le soutien aux opérations de l'ONU (maintien de la paix, catastrophes naturelles majeures, catastrophes humanitaires) ? Ce pourrait être le développement de moyens de transport militaires communs (avion gros porteur, poste-avions franco-britannique), de moyens d'observation (satellites et système européen), de forces de police (gendarmerie européenne). Pour des organisations régionales comme l'Union africaine, cela supposerait une aide spécifique sur certains équipements adaptés de proximité (hélicoptères, etc...).
La question la plus délicate en apparence est celle du commandement et de la coordination d'une opération à dimension militaire (ex de la zone d'exclusion aérienne) : le choix de l'OTAN comme coordinateur a été présenté comme inéluctable mais d'autres solutions peuvent être trouvées. L'Union européenne a déjà monté une opération de maintien de la paix, l'intervention Artémis de juin 2003, en Iturie (RDC), dans le cadre de la PESD, de manière autonome, en mobilisant des moyens exclusivement européens, sans recourir aux capacités de l’OTAN.
Ne faut-il pas poser la question de la réactivation sous une forme nouvelle du Comité d'État-major de l'ONU, prévu dans la Charte ? En effet, l’ONU se retrouve de fait, aujourd’hui, comme la seule organisation internationale dont l’organe directeur, le Conseil de sécurité, ne s’appuie pas sur un organe de conseil militaire (comme cela se fait à l’OTAN et à l’Union européenne). La discussion sur une possible réactivation du Comité d’état-major a été à nouveau relancée le 23 janvier 2009, au Conseil de sécurité, afin d’améliorer la planification, la conduite et le suivi des opérations de maintien de la paix.
Selon Alexandra Novosseloff chercheure au Centre Thucydide, la première étape d’une réactivation du Comité d’état-major serait sa saisine par le Conseil de sécurité. Les prochaines étapes pourraient permettre d'inviter à ses réunions, de manière systématique mais informelle, les autres membres du Conseil et les principaux contributeurs de troupes concernés pour développer l'information et les coordinations. Ce débat ne doit-il pas être élargi et la société civile s'emparer ?
Reste la question la plus soulevée : quid de forces onusiennes permanentes pour le maintien de la paix. On touche à un problème à la fois financier énorme en coûts de personnel, de logistique et d'armement mais surtout à un problème politique de souveraineté, de transparence.
L'avancement du droit et des critères d'application peut permettre de lever des obstacles. Du chemin a été fait avec la publication du rapport de Lakhdar Brahimi et du « Groupe d’étude sur les opérations de paix de l’ONU » a été créé en mars 2000 par le Secrétaire général afin de faire des recommandations pour améliorer la pratique de l’ONU dans le domaine du maintien de la paix.
Il reste encore largement à appliquer même si aujourd'hui le dispositif onusien a cru considérablement puisqu'au 31 janvier 2010, 84.835 militaires onusiens étaient déployés dans le monde, 12.794 policiers, ainsi que 2314 observateurs militaires, soit un total de 99.943 personnes, contre 12.400 en 1996.
Il existe maintenant un Secrétaire-général adjoint de l'ONU au maintien de la paix, une structure logistique onusienne a été crée à ses côtés, une base logistique a été créée en Italie.
En même temps, il est difficile d'imaginer que des forces onusiennes puissent être utilisées dans des opérations rapides de protection de population. L'ONU risque d'être obligée pendant longtemps à faire appel à des contributions de pays avec toutes les questions d'encadrement juridique et militaires exposées auparavant.
Il est évident par ailleurs que tout progrès dans le maintien de la paix tant sur le plan juridique que militaire ne peut se comprendre durablement que dans deux cadres : celui du progrès de la démilitarisation des relations internationales (progrès des traités de désarmement, diminution des dépenses militaires) et celui d'une démocratisation progressive des différents niveaux d'élaboration et décision du sytèmes des Nations unies (élargissement du Conseil de sécurité, poids de l'Assemblée générale, place de la société civile, encadrement des agences économiques comme FMI, BM et OMC).
Au dela des conséquences dans leurs propres pays, les luttes des populations du continent africain n'auront pas été inutiles si elles font aussi avancer le débat sur le renforcement du droit international, la construction d'une sécurité globale, coopérative et humaine.
Jeudi 14 avril 2011




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